Le Délit : Est-ce-que vous pouvez vous présenter rapidement ?
Damien Regnard : Je suis Damien Regnard, j’ai 51 ans, j’ai trois enfants de 19 à 24 ans, je suis marié. Je vis depuis un peu plus de vingt ans à la Nouvelle-Orléans en Louisiane, terre française et proche de nos amis québécois. Je suis venu ici pour ouvrir la filiale d’un groupe français. Quand ils m’ont demandé au début des années 2000 de rentrer, j’ai décidé de rester et je me suis lancé dans l’entreprise. J’ai créé une société dans le service au commerce international. Depuis mon arrivé, j’ai été très vite engagé dans le domaine associatif : j’étais président de la Chambre de Commerce Franco-Américaine, j’ai été conseiller du commerce extérieur de la France, président de l’Union des français de l’étranger, membre du conseil d’administration de l’Alliance Française, et impliqué également dans l’ouverture de nombreux établissements scolaires publics et privés.
LD : Quel est le plus grand défi pour les expatriés ?
DR : C’est une bonne question. Les défis d’une expatriation sont d’ordre personnel et familial avant tout. Que l’on soit jeune étudiant ou qu’on soit en préretraité —et tout ce qui vient au milieu —je pense qu’il faut une bonne préparation, une bonne connaissance, et un environnement favorable. On ne part pas s’expatrier pour fuir quelque chose sinon c’est souvent un échec. On ne part pas à l’aventure. L’aventure n’est pas autorisée, je crois, si on veut être sérieux dans son expatriation. Il faut la préparer. J’ai dû, souvent, intervenir pour repêcher des situations catastrophiques —au niveau des visas par exemple. On ne part pas en se disant « c’est la même chose de l’autre côté de l’Atlantique ». Que ce soit au Canada ou aux Etats-Unis, il y a un océan entre les deux, il y a une culture différente, il y a un mode de fonctionnement différent, un comportement différent.
Pour vos lecteurs spécifiques au Québec, l’erreur pour de très nombreux français c’est de penser que, parce qu’on y parle le français, c’est la même chose. Les Québécois sont nos cousins, mais ils sont nos cousins d’Amérique du Nord. Il y a une véritable différence de culture qui me semble importante à appréhender avant de partir si on ne veut pas subir un échec et rentrer en France avec une certaine amertume. Donc, je crois que le principal défi c’est une bonne préparation et une bonne appréhension de ce qu’on va faire.
Mettez vos idées et vos papiers en ordre, et ayez un projet ! Tout est possible après. Si on arrive en se disant « nous les Français on est attendus aux États-Unis, on est attendus là parce que nous sommes les meilleurs », en général on fait face à des échecs flagrants.
LD : Est-ce-que vous pouvez nous donner trois grands axes de votre programme ? En quoi est-ce qu’il aiderait à créer ce projet dont vous parlez ?
DR : Il y a plusieurs aspects. En créant les onze députés des français à l’étranger, en supplément des douze sénateurs, je crois qu’il y a vraiment un besoin de travailler ensemble. C’est pour ça que je souhaiterais mettre en place un « groupe interparlementaire des élus des Français de l’étranger » en dehors de toute considérations politiciennes. Cette organisation permettrait de peser. Aujourd’hui, nous sommes une minorité, nous les élus des Français à l’étranger. C’est très difficile d’être entendus et on est souvent mis de côté. La première chose c’est donc d’essayer de créer un poids politique à notre action.
Ensuite, je permets d’avoir un député qui connaisse à la fois la langue anglaise et la politique locale. C’est ce que j’appelle le bilatéralisme. Mon engagement, c’est de travailler avec les dix provinces et les cinquante États. Pourquoi ? Parce que quand vous travaillez et que vous rencontrez le gouverneur d’un État et que vous lui dites : « Voilà, chez vous, un de vos plus grands employeurs est une société française, et elle a des besoins. Est-ce-que nous pouvons travailler ensemble pour mettre en place des introductions, des relations et des appuis politiques ? ». Même un grand groupe en a besoin pour pouvoir s’exprimer et faire passer des messages. Moi, je voudrais être ce lien entre la communauté des Français de l’étranger qui vivent en Amérique du nord et nos élus ici. Je veux être un député des Français à l’étranger, et non pas un député à Paris qui passe son temps à aller s’occuper de préoccupations qui n’ont rien à voir avec celles de nos ressortissants ici.
LD : Vous aviez présenté votre candidature en 2013, où vous aviez reçu 12,67% des scrutins. En quoi est-ce que votre programme a changé depuis ?
DR : Les bases sont restées les mêmes, c’est-à-dire que c’est un engagement au service des Français. Je me suis toujours positionné là-dessus. Ce volet là n’a pas changé.
Ce qui a changé, c’est l’engagement un peu plus politique. Je suis plutôt un candidat qui souhaite incarner une alternative de droite. Je crois que l’on a besoin de se mobiliser et de redonner une certaine confiance dans notre pays, redonner une certaine liberté au niveau de l’entreprise, redonner une certaine image de notre pays qui a, à mon avis, été assez détériorée ces cinq dernières années. C’est un engagement aussi par rapport à ce que je considère être un échec au niveau des droits des Français à l’étranger en quatre ans. Que ce soit dans le domaine des bourses, du budget de l’action extérieur de l’État, du budget sur les consulats, le budget de l’action culturel, la suppression de vote internet, il y a eu peu ou pas de progrès. Là, il y a une grosse différence par rapport à mon engagement parce qu’en 2013, on n’avait pas ce bilan.
Dernier point : ça fait un peu plus d’un an que je réfléchis à cette élection législative, que je m’y prépare, sans savoir si j’allais y aller ou pas, parce que c’est un travail énorme et un engagement personnel, financier, familial, important. C’est un gros sacrifice. À ce titre j’aimerais saluer tous les candidats qui le font, quelque que soit leur tendance.
LD : Que pensez-vous de la décision du gouvernement qui renonce au vote électronique pour les français établis à l’étranger ?
DR : C’est une vaste fumisterie cette affaire. Nous avons été informés lors de l’assemblée des Français à l’étranger en session plénière au mois de mars par une ribambelle de hauts fonctionnaires, à la tête de laquelle se trouvait notre secrétaire d’État aux Français de l’étranger de l’époque Matthias Fekl, aujourd’hui [ex] ministre de l’intérieur. Il est venu nous informer gentiment alors qu’il n’y avait plus de session parlementaire — donc pas d’Assemblée nationale ni de Sénat — et qu’ils allaient supprimer le vote Internet.
Je me suis un peu révolté de cette situation. Le fait de lancer une pétition ne sert strictement à rien : vous pouvez faire autant de signatures que vous voulez, ce n’est pas ça qui va changer quoi que ce soit. Je regrette que notre député en place n’ait pensé qu’à cette solution.
Personnellement, je vois plusieurs aspects. Première chose : on n’annule pas un vote comme ça, hors session, sans permettre au Parlement de chercher des solutions. Donc déjà, sur le calendrier, j’étais particulièrement choqué.
Deuxièmement, les raisons qui nous ont été présentées. C’est lamentable d’oser nous expliquer que les Russes vont attaquer onze députés des Français de l’étranger. On est 577 députés, en quoi pourrait-on me dire que les Russes s’y intéressent ? Et pourquoi les Russes, pourquoi pas aussi la Corée du Nord ? On ne sait pas. On est dans la désinformation.
Troisièmement point. On nous a dit : « Rappelez-vous, quand TV5 Monde a été attaqué, rappelez-vous, ils ont perturbé les élections aux États-Unis ». Alors là, on a dit : « Premièrement, sur TV5, c’est des failles de sécurité flagrantes, que la chaîne a admise, qui ont permis de faire ce hacking» ; ensuite, j’ai dit : « Pouvez-vous me prouver qu’un seul bulletin, un seul bureau de vote a été hacké aux États-Unis au mois de novembre ? ». Ils ont bien dû avouer que non, effectivement, ça n’était pas l’élection qui avait été piratée, mais il y avait eu des tentatives de pénétration du parti Démocrate ». Donc déjà, nous sommes partis sur deux mauvais exemples.
La France souffre aujourd’hui d’un mal qui risque de ne pas s’arranger, qui nous ronge depuis des années : c’est une grosse administration, une machine à mammouth de l’administration, qui la gouverne. Ce ne sont plus les politiques qui, aujourd’hui, ont le pouvoir de définir une ligne, une stratégie, un projet. Ce sont des administrations qui bloquent. Ce n’est pas pour rien qu’aux États-Unis, quand il y a une nouvelle administration qui arrive, vous avez 6 000–7 000 têtes d’administration qui changent, pour travailler en collaboration. Ce n’est pas du nettoyage, c’est juste d’avoir une certaine logique. Vous avez besoin d’avoir une administration qui est en accord avec les politiques que vous voulez mener. La commission qui a bloqué le vote électronique a, pour moi, outrepassé ses fonctions.
LD : Vous avez soutenu François Fillion lors des élections présidentielles, or Les Républicains ont déjà un candidat pour cette circonscription. Pourquoi vous présenter contre lui ?
DR : La règle qui tue tous nos partis, elle n’est pas écrite, mais c’est une espèce de tradition ancienne : on reconduit les sortants, et ce, qu’ils soient bons ou mauvais. Il a fallu plus de neuf mois et quatre refus en commission d’investiture pour que M. Lefebvre soit finalement investi. Il n’a absolument pas fait état de son investiture ; il l’a annoncé il y a quelques jours seulement. Il n’a jamais fait campagne pour le candidat de la famille Les Républicains. Il n’a pas fait un seul tweet en trois mois pour appeler à voter pour le candidat de sa famille.
Alors effectivement, je me suis engagé parce que je voulais cette alternance. Fillion, c’était le candidat qui avait été choisi par ma famille. Comme je l’ai dit, j’ai un engagement, je suis droit dans mes bottes. C’était le candidat qui a été mis en avant, c’était le candidat de l’alternative, il avait un programme extraordinaire. La campagne a été polluée par des tas d’affaires —légitimes, non légitimes, ce n’est pas à moi de juger. Les Français ont jugé, et la justice passera par là. On aura l’air chouette s’il est innocenté.
J’ai beaucoup regretté cette absence de mobilisation, et je ne suis pas le seul. Maintenant, on ne sait pas trop où se positionne [Frédéric Lefebvre]. Ses messages disent « Je suis de droite, mais avec Macron », « Je suis LR mais contre Wauquiez et Baroin ». Ce sont quand même les deux leaders de la droite aujourd’hui, donc on se demande où il se trouve idéologiquement. Moi, j’ai été vraiment choqué par ça. Je me suis senti vraiment orphelin à titre personnel.
Je crois qu’aujourd’hui je suis le seul candidat pour les électeurs qui soit plutôt à droite, et qui a été assez sidéré par les positionnements du député sortant.
Il y a un deuxième aspect. Moi je suis Français d’Amérique, et je ne m’engage qu’à ça. Je n’ai pas d’ambition politique derrière. Nous avons été désertés pendant plus de neuf mois par un député qui s’est lancé dans une campagne pour la primaire, pour devenir président de la République française.
Donc voilà, je ne peux pas cautionner ce genre de comportement, il fallait s’engager.
LD : Quels projets souhaitez-vous voir apparaître pour pousser plus loin l’amitié franco-québécoise ?
DR : J’étais à Montréal la semaine dernière. J’ai eu un très long entretien téléphonique avec Thomas Mulcair [l’ancien candidat fédéral du Nouveau Parti Démocrate, ndlr], qui m’a contacté. Il voulait échanger pour avoir mon point de vue, et je dois le revoir lors de mon prochain passage à Montréal. J’ai aussi eu des échos autour de l’équipe autour de M. Couillard [le premier ministre du Québec, ndlr] récemment. Il faut connaître, apprécier, respecter les gens. On n’est pas là pour dicter la voie de la France. On est là pour voir comment, ensemble, on peut travailler dans le cadre d’un respect mutuel, et pas pour dire : « Ce que vous faites c’est contre la France, c’est pas bien ».
Quand vous êtes un député parisien et que vous arrivez en disant ça, vous avez à faire face à des gens qui sont très courtois et qui, par derrière, ne vous donneront rien. Vous ne pourrez avancer sur aucun dossier. Les échos que j’ai eu de multiples Franco-Québécois installés depuis de multiples années —dont mon suppléant François Pichard du Page qui est depuis plus de quarante ans à Québec —c’est qu’on a tout raté ces quatre dernières années. On n’a rien réussi à construire, on n’a pas fait les passerelles qu’on devait faire, on a pas créé cette confiance, ce lien bâti sur une expérience partagée, sur une connaissance de leur état d’esprit. C’est une analyse partagée. Je suis ici depuis plus de vingt ans, je suis devenu un Américain du nord, je raisonne comme un Américain du nord.
C’est là où je peux apporter quelque chose à l’Assemblée Nationale. Je suis aujourd’hui avec un raisonnement, une approche et un fonctionnement qui est différent d’un député de Corrèze ou de Haute-Savoie. Ce n’est pas que je suis meilleur, c’est que j’apporte cette différence. Dites-moi quelle différence apporte un député parachuté, qui vit depuis trente ans dans les cercles politiques ? Qu’est-ce qu’il apporte comme différence ?
Travailler avec les Québécois, c’est d’abord respecter les Québécois. C’est partager.
LD : Est-ce-que vous seriez prêt à travailler avec Emmanuel Macron si son mouvement faisait appel à la droite de l’Assemblée ?
DR : Mais bien évidemment ! Et tous les parlementaires, même les chefs de file chez les Républicains, le disent. J’ai entendu deux interviews récemment, l’une de François Baroin, l’autre d’Eric Ciotti —on ne peut pas le qualifier de socialiste ou de macroniste— ils ont dit « oui ».
Je crois que le problème n’est pas droite/gauche, il n’est pas dans les barrages. Moi ce que je vois, c’est que le respect il doit venir des deux côtés. Je pense que le respect il a manqué des deux côtés, là-dessus je suis assez centriste. Un projet de loi qui est bon ne veut pas dire qu’il est parfait. On peut apporter des amendements. Si on travaille en bonne intelligence en disant « Votre projet de loi présente de nombreuses avancées pour la France. Est-ce que si on ajoutait ça, ça et ça…» bien sûr que les lois seront votées.
Ce que je veux dire c’est que, oui, quand les lois vont dans le bon sens, je ne serai pas quelqu’un de sectaire. Le groupe interparlementaire pourrait nous permettre de travailler de façon beaucoup plus forte.
J’insiste sur un point : mon mandat sera fait dans l’honnêteté et dans l’intégrité. Je n’ai pas d’ambitions politiciennes derrière, je souhaite faire ce mandat de cinq ans au service de notre communauté. Je ne suis pas du tout dans la perspective de briguer un second mandat. D’autre part, je n’embaucherai pas ma femme. Je respecterai mes engagements, contrairement à notre député sortant qui a dit qu’il ne cumulerait pas les fonctions mais qui l’a fait jusqu’à la fin de son mandat de conseiller régional. Je m’engage réellement pour les Français d’Amérique du Nord.
LD : Est-ce-que vous connaissez bien Montréal ?
DR : J’y ai vécu quand j’étais enfant, mon père y travaillait. J’en garde des souvenirs mais je ne suis pas comme certains, je ne vais pas prétendre être un expert. J’ai pris les bus jaunes, je suis parti avec ma boîte à lunch, avec mes boots. J’en garde de très bons souvenirs mais je ne peux pas dire que je connaisse Montréal. Mais c’est une ville que j’aime beaucoup, j’y ai été à plusieurs reprises professionnellement.
LD : Aujourd’hui on voit, en France comme ailleurs, un rejet des partis traditionnels. Pensez-vous que ça peut jouer en votre faveur, vous qui n’émanez pas d’un de ceux-ci ?
DR : Je n’analyse pas forcément toujours les choses de la même façon. Il y a un rejet du personnel. Est-ce qu’il y a un rejet d’une idée de la droite ou de la gauche ? Je n’y crois pas.
Monsieur Macron a fait un très beau parcours qui a sidéré beaucoup de monde. Il a réussi à être élu avec un alignement des planètes extraordinaire. On s’en rend compte déjà là : il y a des gens qui ont des convictions politiques. Ces convictions politiques elles sont sur une voie économique, écologique, sociale, familiale, conservatrice… donc ces valeurs, elles existent au sein des gens. Je crois qu’il y a eu un rejet des partis uniquement par rapport à leur fonctionnement, par rapport à certains de leurs représentants.
Donc oui, mon engagement ferme, définitif, droit dans mes bottes, avec un projet, une ambition, une expérience, et une implantation ici… oui, je pense et j’espère pouvoir convaincre les gens de ce renouveau de la politique.
Les élections des français·e·s en Amérique du nord auront lieu les 3 et 17 juin 2017.