La controverse a commencé il y a plus d’une semaine, suite à l’éditorial du plus récent numéro du magazine Write : le nom de l’éditorial, Winning The Appropriation Prize (Gagner le Prix de l’appropriation, ndlr), par Hal Niedviecki, alors rédacteur en chef de Writers’ Union of Canada. Dans cet article, et dans les réponses de nombreux acteurs médiatiques, la notion d’appropriation culturelle fut mise à mal. L’article de Niedviecki s’ouvre sur ces mots : « I don’t believe in cultural appropriation. In my opinion, anyone, anywhere, should be encouraged to imagine other peoples, other cultures, other identities. I’d go so far as to say that there should even be an award for doing so – the Appropriatioon Prize for best book by an author who writes about people who aren’t even remotely like her or him.» (Je ne crois pas à l’appropriation culturelle. Mon opinion, c’est que n’importe qui, n’importe quand, devrait être encourager à imaginer d’autres personnes, d’autres cultures, d’autres identités. J’irais jusqu’à dire que nous devrions même avoir un prix pour cela — le Prix de l’appropriation pour le meilleur livre par un auteur écrivant sur des cultures qui lui sont étrangères, ndlr)
Cette proposition s’est rapidement propagée sur les médias sociaux. Parmi les figures médiatiques qui ont encouragé l’idée, notons l’ancien exécutif de Rogers, Ken Whyte, la rédactrice en chef du National Post, Anne Marie Owens, et le rédacteur en chef de CBC, Steven Ladurantaye. Des tweets comme celui de Ken Whyte — « Je donnerai 500$ pour la fondation du prix de l’Appropriation, si quelqu’un veut l’organiser » — ont enflammé la toile, alors que des défenseurs des droits autochtones dénonçaient la banalisation de l’appropriation culturelle qui était en train de se produire. Les auteurs de ces messages se sont, pour la plupart, par la suite excusés de la teneur de leurs propos.
En réponse à cette première vague de tweets, l’avocate torontoise Robin Park a lancé une campagne de sociofinancement sur le site IndieGoGo pour favoriser l’émergence des voix autochtones dans le milieu littéraire. Elle explique au journal CBC : « Je ne veux pas créer un espace d’argumentation. Je veux aider à créer un espace pour la créativité et l’art ». Son objectif est d’encourager les écrivains avec de l’argent qui provient de la communauté, afin de donner le sentiment qu’une société complète appuie le mouvement. En date du 23 mai, les fonds amassés dépassent les 87 000$, soit 870% plus que le montant fixé initialement.
Petite mise au point : qu’est-ce que l’appropriation culturelle ? On parle généralement d’appropriation culturelle lorsqu’un groupe dominant (dans le cas présent, des auteurs caucasiens) s’approprie les éléments d’une minorité (dans le cas présent, la culture autochtone) dans le but d’engendrer des profits culturels ou monétaires. Il en résulte une dépossession de la culture minoritaire par la culture dominante.
De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer ce qu’ils perçoivent comme une muselière se resserrant sur leur liberté d’expression. Par la banalisation d’un traumatisme collectif, ces critiques font fi d’une histoire qui s’est bâtie dans la violence et la persécution. Ne pas croire en l’appropriation culturelle sous prétexte de liberté artistique revient à caviarder l’histoire d’un peuple qui, par les efforts de plus en plus médiatisés, cherche à se réapproprier sa voix. Comme le décrit Rima Elkouri dans son article « Les paroles invisibles », « le problème, ce n’est pas qu’on entende la voix de l’homme blanc qui croit tout savoir. Le problème, ce sont toutes les voix qui, dans son ombre, restent inaudibles alors qu’elles ont tant d’histoires à raconter, tant de murs à faire tomber, tant d’indifférence à secouer ».
Lecture conseillée pour approfondir le sujet : Kuei, je te salue (2016, Écosociété), de Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine, essai sur le racisme écrit sous forme épistolaire.