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Le neuvième art en fête

Quel est l’état de la bande dessinée québécoise aujourd’hui ?

Charles Gauthier-Ouellette | Le Délit

Tout au long du mois de mai, les bibliothèques montréalaises offraient des activités pour fêter le mois de la bande dessinée. À l’honneur cette année, la bande dessinée historique. Des bédéistes comme Jean-Paul Eid, connu entre autres pour sa sublime La femme aux cartes postales (qui tourne autour des clubs de jazz des années 50), discutèrent de l’importance de la bande dessinée dans le milieu québécois.

Au cours de la fin de semaine dernière eut lieu le Festival de la BD de Montréal (FBDM), événement conjoint aux autres festivités où se rejoignirent pour une sixième année de nombreux exposants au parc Lafontaine. Ce fut l’occasion de partager leur passion du neuvième art avec un large public à travers des ateliers, des quizz et des conversations avec des auteurs. Ce fut aussi l’occasion pour différents membres du milieu (artistique, éditorial, professoral, événementiel) de discuter des divers enjeux de la bande dessinée québécoise. Bonne nouvelle, la BD québécoise se porte magnifiquement bien !

 

Comment se définit la bande dessinée québécoise ?

La bande dessinée québécoise apparaît avant tout comme une bande dessinée d’auteur·e, marquée par une touche personnelle. On retrouve assez peu de franchises, sur le modèle américain DC ou Marvel, alors que foisonnent les œuvres hétéroclites aux sujets tout aussi variés. Comme le thème de cette année est la bande dessinée historique, ne nommons que La petite patrie (qui reprend la télésérie de Claude Jasmin), de Julie Rocheleau, le très récent Lénine de Denis Rodier et Louis Riel, de Chester Brown.

Le neuvième art est encore jeune au Québec, ne possédant pas de tradition aussi forte que la Belgique (Tintin) ou la France (Astérix). Plutôt qu’un mal, les bédéistes québécois perçoivent cette faible filiation d’un point de vue libérateur : ils n’ont pas de cadre préétabli par le milieu à respecter. Cela se traduit par une grande exploration des limites éditoriales, dont l’un des meilleurs exemples se trouve dans Le fond du trou, de Jean-Paul Eid. Dans cette œuvre atypique, le bédéiste s’est contraint à dessiner chaque planche en prenant en compte qu’un trou traverserait littéralement la page. Le résultat : une histoire rocambolesque où chaque page joue avec la matérialité du livre.

Sur le plan financier, la bande dessinée québécoise produit un véritable engouement dans la province. Les tirages se chiffrent régulièrement entre deux mille et cinq mille copies par titre, ce qui nous rapproche de nos cousins français (qui environnent les cinq à dix mille copies) alors que notre bassin de population est pourtant presque dix fois inférieur. Parmi les plus grands vendeurs québécois, la série Paul de Michel Rabagliati, qui raconte différentes tranches de vie avec une simplicité et une beauté touchantes, s’est vendue à plus d’un demi-million de copies. Les bibliothèques recensent aussi une augmentation palpable des prêts d’oeuvres issues de ce médium, qui constituent aujourd’hui environ 13% des titres empruntés.

 

Y a‑t-il une place pour la bande dessinée anglophone dans le milieu québécois ?

Principalement concentrée à Montréal, la bande dessinée anglophone est déjà bien ancrée dans le milieu québécois. La librairie Drawn & Quarterly en est certainement l’exemple le plus probant.

Quoique la plupart des bandes dessinées anglophones vendues au Québec proviennent des Etats-Unis ou du Canada anglais, certains auteurs québécois publient dans les deux langues. C’est le cas de Michel Hellman qui, après avoir publié Iceberg et Mile End en français, lance Nunavik en version originale anglaise.

Chez les éditeurs, on remarque aussi un intérêt de plus en plus important pour la traduction d’œuvres, que ce soit du français vers l’anglais (l’incontournable Coquelicots d’Irak de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim sortira en anglais en septembre) ou l’inverse (le nouvellement traduit Titan de François Vigneault). Ce phénomène reste, quoiqu’en hausse, encore marginal et symbolique plutôt que financier.

 

Le numérique est-il en voie de remplacer le format papier ?

Le constat qui ressort de la discussion est simple : non. Il s’agit d’un non-marché, c’est-à-dire que les ventes aux particuliers n’existent presque pas, dans sa transposition directe du moins. Des projets comme Tout garni, de la maison d’édition La Pastèque, cherchent à donner vie à la bande dessinée numérique en réfléchissant au médium autrement. Le but visé : opter pour l’interactivité propre aux nouvelles technologies pour inclure le lecteur dans l’histoire.

L’option de la bande dessinée pour téléphone, très populaire en Orient, mérite d’être envisagée au Québec. Cette forme, qui consiste en une suite de vignettes présentées verticalement (pour faciliter le défilement), s’est développée ailleurs dans le monde par moyen de micro-abonnement ; en échange d’un montant mensuel fixe, les usagers reçoivent quotidiennement du contenu exclusif.

Il est aussi à noter que le festival de bande dessinée d’Angoulème a récemment créé un prix pour la meilleure création numérique.

 

Avec des festivals de plus en plus importants au Québec, le neuvième art s’intègre lentement dans notre quotidien. La bande dessinée québécoise reste le fruit d’un travail de passionné·e·s, empreint d’une touche bien personnelle la distinguant de ses contemporains français ou américains, qui mérite d’être explorée !


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