Qu’est-ce que la gentrification ? La gentrification, c’est quand tu descends Saint-Laurent et qu’il ne reste plus que des cafés branchés (et proclamés hipster) à cinq dollars le café filtre (lait de soja et taxes non incluses dans le prix, évidemment). La gentrification, c’est quand tu te promènes sur Duluth et que tu entends beaucoup de dialogues en français, mais pas un seul accent québécois. La gentrification, c’est quand ton petit appart « cute » du Mile-End te coûte un bras par mois.
Considéré comme du développement pour certains, ou comme de l’exclusion pour d’autres, le phénomène de la gentrification transforme véritablement la nature des quartiers touchés.
Petit cours d’urbanisme
Rappelons d’abord ce que ce terme signifie. La gentrification est la tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire. Pour ce faire, elle passe par la transformation de l’habitat, de l’espace public et des commerces. Selon l’encyclopédie électronique Hypergeo, la gentrification implique un changement de la division sociale de l’espace intraurbain. La réhabilitation d’un quartier engendre une augmentation de ses prix, ce qui pousse les classes sociales les moins aisées, ne pouvant plus maintenir le nouveau coût de vie imposé, à se délocaliser dans des quartiers moins chers.
Le terme lui-même a une étymologie à nuance critique. Inventé par le sociologue marxiste Ruth Glass en 1964, « gentrification » est un néologisme anglais. Il vient du mot « gentry » qui désigne de façon péjorative la petite noblesse. La notion sera par la suite théorisée par un grand nombre de géographes anglais et nord-américains dans les années 80. Si dans un premier temps la gentrification désigne un processus de réappropriation par les classes moyennes de centres-villes délaissés, elle inclut aujourd’hui la transformation d’espaces populaires, aussi bien résidentiels qu’industriels.
Bobos ou gentrificateurs ?
Il y a 30 ans, la bataille contre la hausse des prix d’un quartier populaire, c’était la bataille des résidents du Plateau-Mont-Royal. Quartier très à la mode dans les années 80, il devint rapidement la cible d’une forte ébullition spéculative. Selon un reportage de Radio-Canada, le nombre de logements accaparés par des spéculateurs à l’époque s’élevait à 8000. Afin de dénoncer ces pratiques immobilières, de nombreuses conférences de presse et manifestations avaient été organisées dans le secteur. Ceci n’a cependant pas empêché les prix d’augmenter dans le quartier, avec le coût moyen d’un 4 1/2 qui s’élève à 79 pourcent de plus qu’en 2001. Aujourd’hui, ce quartier est complètement gentrifié, processus auquel les étudiants de McGill ou d’ailleurs, contribuent inconsciemment.
En effet, selon Johanne Charbonneau, sociologue à l’IRNS, les gentrificateurs ne sont pas forcément des gens qui ont de l’argent, mais des étudiants et des artistes qui rendent le quartier « in ». Sans s’en rendre compte, ces derniers sont responsables de l’augmentation des loyers et de l’effritement de la mixité sociale du quartier. L’arrivée de populations au style de vie « tendance » pousse les commerces à se développer en conséquence pour accueillir ce nouveau voisinage. On y voit alors apparaître des cafés pour étudiants, des épiceries bios, des magasins branchés. Les artistes donnent un certain cachet à ces espaces délabrés et rendent ces quartiers populaires « hype ». Seulement, ces quartiers, tel que le Mile-End, deviennent rapidement presque victimes de leur succès. Ils perdent leur identité populaire d’autrefois à cause de l’arrivée en masse de ces individus à la recherche « d’authenticité ».« Intimidation, chantage, harcèlement, éviction ou même expulsion, tous les moyens sont bons pour pousser les locataires à quitter leurs logements »
« Intimidation, chantage, harcèlement, éviction ou même expulsion, tous les moyens sont bons pour pousser les locataires à quitter leurs logements »
Un phénomène violent dont on parle (trop) peu
Le documentaire « Quartier sous tensions », diffusé le vendredi 11 août sur Radio-Canada, souligne la véritable violence de ce phénomène qui touche le quotidien des habitants de Rosemont-La-Petite-Patrie et d’Hochelaga Maisonneuve.
Patricia Viannay, organisatrice communautaire au Projet Organisation Populaire Information et Regroupement (POPIR), évoque la détresse dont lui font part les citadins au quotidien. « J’ose plus marcher sur Notre-Dame, je suis tanné de voir des gens sur les terrasses qui se payent des choses que moi je ne pourrai jamais me payer », rapportent des victimes.
Intimidation, chantage, harcèlement, éviction ou même expulsion, tous les moyens sont bons pour pousser les locataires à quitter leurs logements afin de pouvoir les louer à trois fois le prix initial. L’organisatrice communautaire parle aussi de l’attitude parfois « colonisatrice » qu’adoptent certains promoteurs immobiliers. Nombreux sont ceux qui considèrent que le développement de leur condo permettra de « corriger » le quartier, des mots rabaissants et durs à entendre pour des gens qui y ont construit leurs vies.
« On ne parle de gentrification que lorsqu’ il y a du vandalisme » déplore la réalisatrice du documentaire, Carole Laganière. Selon elle, il s’agit au contraire d’un drame quotidien qui se produit dans le silence.
Besoin de mesures municipales
Il serait naïf de croire que ce phénomène puisse être réversible. Là n’est d’ailleurs pas la question. L’arrivée de nouveaux arrivants dans un quartier peut être bénéfique et peut permettre le développement à la fois économique et social de ce quartier. Cet article ne cherche en aucun cas à mettre tous les « méchants » investisseurs et propriétaires dans le même bateau. Il existe des nuances et le droit aux logements reste un droit pour tous.
Seulement, afin d’atténuer les répercussions de la gentrification sur la vie des citoyens les plus démunis, le gouvernement devrait leur donner des outils afin de leur permettre de « vivre » (et non « survivre ») dans le quartier. Le documentaire « Quartier sous tensions » propose un bon nombre de recommandations pour lutter contre ces répercussions. Tout d’abord, la municipalité pourrait réserver des terrains pour des logements sociaux et pour des coopératives, tout en apportant une plus grande aide financière sous forme de chèques sociaux pour remédier à la hausse du coût de la vie. De plus, la Régie du logement doit mettre en place des mesures de vérification plus strictes afin de ne plus laisser passer des évictions sous le prétexte d’aménagement de propriété qui ne se font pas. Le documentaire conclut en soulignant que si des mesures pour la mixité ne sont pas mises en place, c’est vers une gentrification totale que la métropole se dirige.
Il est essentiel de développer nos quartiers tout en nous assurant qu’il reste de la place pour tous. L’apport d’une plus grande mixité sociale dans les quartiers de Montréal est important, mais il doit s’accompagner de mesures inclusives pour en protéger les résidents. Celles-ci sont cruciales afin d’éviter que Rosemont-La-Petite-Patrie et Hochelaga-Maisonneuve deviennent des Plateau Mont Royal 2.0.