Le dimanche 17 septembre dernier, on apprenait que Mme Louise Cordeau, actuelle présidente du Conseil du statut de la femme, considère un changement de nom de l’organisme qu’elle représente. Mme Cordeau estime que l’appellation du Conseil du statut de la femme devrait être revue afin de « mieux refléter l’évolution de la société » et d’interpeller l’ensemble de celle-ci, y compris les hommes. Elle nomme ce qu’elle considérait être « une égalité presque acquise » entre les hommes et les femmes.
Bien qu’à première vue, cette proposition puisse sembler inoffensive, voire même louable, elle reflète l’influence grandissante de groupes masculinistes dans la sphère publique, y compris auprès d’organismes gouvernementaux. Cela met en péril les droits des femmes au détriment de la société tout entière.
La naissance du Conseil du statut de la femme
C’est en 1973 qu’est né le Conseil du statut de la femme. Sa mission vise à « promouvoir et à défendre les intérêts des Québécoises ». Le Conseil s’inscrit « dans la continuité des actions que les femmes mènent depuis des années pour la reconnaissance de leurs droits ». Cet organisme a vu le jour dans le contexte suivant la Commission royale sur la situation des femmes au Canada. C’est Marie-Claire Kirkland Casgrain, qui, en 1973, alors qu’elle était la seule femme siégeant à l’Assemblée nationale du Québec, a fait la première proposition de projet de loi pour établir ce Conseil. Il fut adopté l’année suivante.
Bien que l’on puisse reconnaître des avancées considérables pour les droits des femmes au Québec, il n’en demeure pas moins qu’un long chemin reste encore à parcourir pour atteindre l’égalité. Et bien qu’il existe toujours des inégalités entre les hommes et les femmes, il m’apparaît important de mentionner les inégalités qui existent aussi entre les femmes en tant que groupe social.
Des discordances entre l’égalité de droit et l’égalité de fait
Les femmes, partout à travers le monde, sont plus à risque de subir de la violence, rappelant la nécessité de percevoir le respect de leurs droits comme un concept qui dépasse nos frontières. Or, les femmes autochtones sont plus susceptibles d’être victimes de violence que les femmes non autochtones au Canada. Cela comprend la violence familiale, mais également les agressions à caractère sexuel. Les racines de cette surreprésentation tirent notamment leur source dans le colonialisme, la loi sur les Indiens, les pensionnats autochtones – dont le dernier a fermé en 1996 – ainsi que la rafle des années soixantes. Le patriarcat, le racisme et la discrimination systémique, chacun s’abreuvant les uns des autres, ont créé un contexte social propice à la victimisation des femmes autochtones.
En 2016, le gouvernement fédéral annonçait la mise sur pied d’une enquête nationale, entièrement indépendante, chargée de faire la lumière sur la disparition et l’assassinat des femmes et des filles autochtones, situation qualifiée de « féminicide ». Des activistes et des familles de victimes se sont battues depuis des décennies pour une reconnaissance gouvernementale, sociale et médiatique de cette hécatombe. En décembre de la même année, le gouvernement du Québec annonçait la création de la Commission Viens, dont l’objectif est de mieux comprendre les relations entre autochtones et services publics, notamment la police, suite aux révélations de femmes autochtones disant avoir été agressées sexuellement par des policiers.
Lundi 18 septembre, on apprenait qu’une travailleuse du sexe trans nommée Sisi Thibert avait été assassinée à Montréal. Divers intervenants et groupes travaillant auprès des femmes trans, dont l’organisme Stella ainsi que le Conseil québécois LGBT, ont mentionné que les femmes trans faisaient face à une grande violence, particulièrement les femmes trans de couleur. Cette violence est d’ailleurs très peu abordée dans les médias de masse, ce qui accentue l’invisibilisation de ce fléau.
Les inégalités sont également présentes dans nos administrations publiques et nos gouvernements. À l’Assemblée nationale du Québec, les femmes sont non seulement minoritaires, mais elles interviennent beaucoup moins longtemps que leurs collègues masculins. De plus, selon le magazine L’actualité, les ministères les plus importants en terme de budget sont détenus par les hommes. À Montréal, la parité n’est pas encore atteinte dans nos instances municipales. C’est sans parler du manque de représentation de femmes issues des minorités visibles au sein des services publics de l’État.
Il en va de même pour les inégalités économiques. En 2014, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques mettait en ligne une publication illustrant encore et toujours le partage des tâches domestiques inéquitables entre les hommes et les femmes. Dans une autre publication, l’IRIS nous apprenait, sans grande surprise, que les écarts salariaux entre les hommes et les femmes sont encore d’actualité. De plus, selon le Devoir, les politiques d’austérité tendent à licencier en premier lieu dans les services où les femmes sont majoritaires en tant que prestataires et bénéficiaires, soit la santé, les services sociaux, le secteur communautaire et l’éducation. On peut se douter que le portrait est encore moins reluisant pour les femmes dites de la diversité.
Considérant ces exemples qui se veulent non exhaustifs, l’idée d’une égalité presque acquise est fausse. Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’idée d’une refonte du Conseil du statut de la femme fraye son chemin au sein de l’actualité et de nos instances gouvernementales.
« L’égalité entre les hommes et les femmes, malgré des gains importants, n’est pas encore acquise »
Une proposition datant de 2005
À la manière de ceux qui réclament un mois de l’histoire des Blancs au même titre que le mois de l’histoire des Noirs, il fut proposé en 2005 de rebaptiser le Conseil du statut de la femme en un Conseil de l’égalité dans le contexte de la Commission parlementaire sur l’égalité entre les hommes et les femmes ayant eu lieu la même année. Cette proposition fut modelée sur des arguments tels que « le suicide, le décrochage scolaire, le divorce et la sous-utilisation des services sociaux » des hommes, arguments s’avérant insidieux et qui cachent l’agenda des groupes masculinistes, groupes qui perçoivent le féminisme comme ayant été trop loin. Cette proposition finit par être rejetée grâce à la résistance du mouvement féministe et de groupes de femmes.
La résurgence de ce débat dans l’actualité et le simple fait qu’elle soit même considérée par une présidente du Conseil du statut de la femme rappelle que l’égalité entre les hommes et les femmes, malgré des gains importants, n’est pas encore acquise. Il en faut de peu pour faire face à un backlash (retour de bâton, ndlr) mettant en péril les avancées ayant été réalisées au cours de ces dernières décennies. Plus que jamais, le Conseil du statut de la femme se doit de garder son nom afin de symboliser sa pertinence en 2017.