Après la suspension d’Arisha Khan, vice-présidente aux Finances à l’Association des Étudiant·e·s en premier cycle à l’Université McGill (AÉUM), on pouvait s’attendre à quelques tensions durant le Conseil Législatif du 19 octobre. Les évènements prirent cependant une tournure bien plus austère, et la salle de Lev Bukham fut de 18h à 00h30 le théâtre de disputes éprouvantes.
Début du Conseil
À l’ouverture des portes, la salle était plus que pleine : un public d’environ cinquante spectateurs était présent, dont une vingtaine forcés de se tenir debout, faute de chaises. La sécurité McGill dut même expulser le surplus de personnes avant de débuter la réunion. Ce détail, qui peut paraître sans intérêt, aura son importance pour la suite. Une fois le problème résolu, les présences prises, la land acknowledgement lue, et quelques détails de dernière minute réglés, le Conseil commence.
Présentations des associations
Premier article à l’ordre du jour, les présentations. La première organisation à passer, UTILE (Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, ndlr), rend compte de sa dernière recherche et en arrive à la conclusion qu’il subsiste un réel manque d’accès à des logements aux prix accessibles pour les étudiant·e·s McGill. Selon l’association, ce sont en effet les étudiant·e·s mcgillois qui payent les loyers les plus chers, en comparaison aux autres universités. Le présentateur nous parle ensuite des projets de l’association pour construire des logements étudiants aux prix raisonnables.
C’est ensuite au tour du Library Improvement Fund de nous présenter leur rapport.
Un autre exposé suit, celui de l’association UÉQ. Le représentant de l’Union Étudiante du Québec commence en nous rappelant le rôle de son organisation : la protection des droits des étudiant·e·s au Québec. Il poursuit en nous parlant de leurs principaux projets du moment qui portent sur la santé mentale dans les campus, sur les violences sexuelles, et sur l’accessibilité par les peuples autochtones. Il conclut en nous rappelant les récentes réussites de l’UÉQ.
C’est dans la section qui suit —les questions au présentateur — que l’on commence à avoir un avant-goût de ce que sera la suite du conseil. Un conseiller demande au représentant de l’UÉQ s’il trouve normal que l’AVÉQ (Association pour la voix étudiante du Québec, ndlr), association rivale de l’UÉQ, demande un engagement de cinq ans pour sa potentielle affiliation avec McGill. Le présentateur est visiblement gêné, mais répond que non, ça ne lui semble pas normal. La v‑p. aux Affaires externes, Connor Spencer intervient alors avec vigueur, assurant que l’AVÉQ n’a pas fait de telle demande. Les esprits commencent déjà à s’échauffer.
C’est ensuite au tour de l’Association pour la Voix Étudiante au Québec de s’exprimer dans leur exposé, durant lequel ils résument eux aussi leur travail. Le même conseiller réitère sa question de l’engagement, insistant que cette condition figure dans la motion. L’AVÉQ rétorque alors qu’il est possible de sortir de l’engagement avant les cinq ans. Une autre intervention du Conseiller Savage, représentant de la faculté de service social , précède la clôture du débat. Ce dernier nous permit de comprendre que l’AVÉQ et l’UÉQ collaboraient sur leurs projets de recherche, notamment en santé mentale.
Le début de la fin
Après une courte pause et la présentation du rapport du Comité d’Organisation présenté par la v.-p. aux Affaires internes Maya Koparkar, le modérateur du Conseil passe à la section annonces.
Lorsque Jemark Earle, v-. p. vie étudiante, lève timidement la main, on ne peut se douter de l’importance de ce qu’il va dire. Il engage alors la lecture d’une lettre signée par les cinq vice-président·e·s, dénonçant les actions de la Présidente de l’AÉUM Muna Tojiboeva, pointant notamment du doigt son manque de transparence et les activités suspectes du Conseil des Directeurs, en référence à la suspension d’Arisha Khan. Il conclut avec la phrase suivante : « C’est donc la volonté des vice-président·e·s que la Présidente Tojiboeva présente sa démission en tant que porte-parole des étudiant·e· s ». Cette déclaration de non-confiance déclenche le début des hostilités.
La Présidente fait valoir son droit de réponse, et se déclare déçue par ces accusations. Elle affirme « ne pas être là pour représenter le point de vue des membres de l’exécutif, mais des étudiants ». Elle accuse ensuite à son tour les vices-président·e·s de rendre son environnement de travail toxique, en remettant sans cesse ses qualifications en question à cause de leurs différentes opinions, et en la traitant continuellement d’opportuniste. Elle dénonce leur intimidation, qui, d’après elle, se portait même par moment à son apparence physique. Un des v-.p. lui aurait fait remarquer qu’elle était mince, ce à quoi elle aurait répondu « merci » avant de se voir répliquer que ce n’était pas un compliment. Les claquements de doigts du public à l’occasion de son discours laissent penser qu’elle dispose du soutien de la galerie.
Conseil Législatif, ou match de boxe ?
Suite à ces annonces, le modérateur passe à la section questions, à laquelle sont généralement allouées cinq minutes, mais qui dura plus d’une heure trente à raison de multiples extensions.
Les questions sont ouvertes aux médias et au public, et c’est le McGill Daily qui ouvre le bal, en demandant pourquoi les Conseils des Directeurs, censés être publics, ont toujours lieu alors que le bâtiment de l’AÉUM est fermé, et ne sont pas annoncés à l’avance. Muna Tojiboeva rétorque non sans une touche de mépris, qu’il y a toujours un gardien à l’entrée prêt à ouvrir la porte aux spectateurs, et que les Conseils sont toujours le dimanche à 19h.
La parole est ensuite donnée à une personne du public, qui décrit avec passion l’engagement de Muna déclarant qu’elle siège à une douzaine de conseils différents et est impliquée dans tous les aspects de la vie étudiante dans le seul but d’aider les élèves. Elle demande finalement si la déclaration des v-.p. n’est pas une odieuse chasse aux sorcières. Connor Spencer répond que ces propos lui donne raison ; elle remet en question les motivations politiques de Muna Tojiboeva, et atteste ne pas vouloir avoir cette conversation ici.
C’est alors qu’on comprend la dynamique que suivra le reste du Conseil Législatif. Il s’agit en fait d’un conflit opposant les membres de l’exécutifs et les médias d’un côté, à la Présidente et son public de l’autre.
Un autre membre du public, encore une fois avec le soutien du reste de la galerie, reproche aux vice-président·e·s de reproduire les tensions de l’équipe de l’année en faisant subir à Tojiboeva une violence raciale et genrée.
C’est encore une fois Spencer qui répond qu’elle prend ces accusations très au sérieux, et recommande qu’une plainte soit déposée auprès des comissaires à l’Équité.
C’est ensuite au McGill Tribune de dénoncer la Présidente et la « décision injuste » de suspendre Arisha Khan pour deux semaines pour une simple violation de confidentialité.
Suite à une réponse bancale de cette dernière, la Conseillère Isabella Anderson, qui a participé au vote du Conseil déterminant la punition d’Arisha Khan, affirme avoir été très mal à l’aise pendant le procédé de prise de décision. Selon elle, la suspension de deux semaines était une des propositions les plus clémentes proposées. Un autre Conseiller niera plus tard ces propos, indiquant qu’une simple déclaration du Conseil fut ausi considéré.
La réunion continua ainsi pendant plus d’une heure trente : le public posait une question sur un ton outré, suite à quoi les v-.p. (le plus souvent Spencer) se défendaient. Les journaux posaient une question suite à quoi Tojiboeva se défendait, le tout entrecoupé de motions pour étendre le temps alloué aux questions. Notons que certains Conseillers, tels que R’ay Fodor, représentant de la faculté d’Art et de science, défendait ouvertement la Présidente.
Des interventions pertinentes restèrent par ailleurs sans réponse, telle que celle d’un étudiant en médecine qui demanda des précisions sur les différences politiques qui opposaient la Présidente aux vice-président·e·s, ou encore une question du McGill Daily s’interrogeant sur la raison pour laquelle Arisha Khan n’avait pas eu l’occasion de se défendre.
Après une session interminable, les questions finirent par se tarir et le modérateur déclara le passage à la section dédiée aux nouvelles motions, après une période de pause. Fait intéressant, le public quitta la salle pour ne plus revenir à partir de ce moment précis.
« Let the record show that the moderator would like a box of fries »
La première motion à l’ordre du jour consistait à soumettre la construction d’un centre à vélos à un référendum. Depuis le départ du public, le calme était revenu, mais on pouvait tout de même sentir une certaine tension dans l’air. Certains conseillers, tels que Caitlin Bazylykut, prennent position contre la motion, soutenant non seulement qu’on pourrait faire meilleur usage des fonds, mais aussi qu’il faudrait que des options moins chères soient présentées.
Un autre conseiller répond que c’est un fond affecté et qu’on ne peut pas utiliser l’argent autrement. Après un débat concernant des préoccupations de confort et de sécurité pour les douches, la motion est soumise au vote, et passe en obtenant une majorité des votes.
Un éclaircissement dans l’atmosphère survient enfin à l’arrivée de la nourriture. La tension se dissipe et la motion suivante est lue avec des frites dans la bouche. La motion en question concerne la soumission au référendum étudiant de l’affiliation avec l’AVÉQ, proposée par Spencer. Muna Tojiboeva propose que la motion soit repoussée pour que les étudiants puissent en apprendre plus sur les différences entre l’AVÉQ et l’UÉQ (par exemple, par le biais de forums publics), ce qui est adopté après un court débat.
La motion sur la création d’un Comité des Affaires francophones indépendant est ensuite adoptée sans trop de conflits, tout comme la motion d’approuver la lettre de Science & Policy Exchange adressée au Premier Ministre du Canada et la motion de Jemark Earle sur les règles de l’Assemblée Générale.
Par la suite, les rapports des différents Comités, Conseillers et membres de l’exécutif se font rapidement et sans encombre, et le Président du Conseil déclare la clôture de la réunion aux alentours de minuit et demi.