Le 14 septembre, le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) a publié un rapport indiquant que la moitié de la faune canadienne a vu sa population chuter dramatiquement de 1970 à 2014. Sur 903 espèces étudiées, 451 d’entre elles ont subi un déclin d’environ 83%, et ce, malgré la loi fédérale sur les espèces en péril mise en place en 2002. Parmi les causes évoquées par l’organisation non gouvernementale pour expliquer cette situation alarmante, on retrouve la disparition des habitats naturels, accélérée par le développement urbain et l’intensification des exploitations forestières, mais également le changement climatique et la hausse de la pollution. S’il est facile de détourner les yeux de la perte de la biodiversité causée par les activités humaines, des répercussions négatives sont pourtant à prévoir pour notre espèce.
Un scepticisme aveugle
Parmi les arguments utilisés pour remettre en question le rôle de l’humain dans la disparition d’autres espèces, certains se basent sur la théorie de l’évolution. Certains diront que des êtres disparaissent pour laisser place à ceux qui sont mieux adaptés à leur environnement. D’autres diront qu’au cours de l’Histoire, des espèces disparaissent tandis que d’autres apparaissent. Pourquoi devrions-nous alors nous inquiéter de ce phénomène « naturel » ?
Cette lecture de la théorie de l’évolution est cependant fallacieuse. Tout être vivant fait preuve d’adaptation, et ceux en danger d’extinction ne font pas exception. Cependant, malgré ces efforts, plusieurs espèces n’arrivent plus à survivre lorsque les changements dans leur environnement sont trop extrêmes, notamment dans le cas du déboisement au profit de l’étalement urbain ou du pâturage. Un exemple de ce phénomène est celui des cervidés. Poussés par la réduction de leur habitat naturel, ils sont contraints de s’alimenter de pelouses plutôt que de ressources forestières. De la même manière, selon l’Humanité, les loups chassent de plus en plus des troupeaux domestiques plutôt que des proies sauvages. Outre les conséquences économiques de la disparition de troupeaux pour les éleveurs, ce phénomène met également en péril leur équilibre alimentaire. Contraints de vivre dans des espaces aux évolutions trop rapides, la survie de ces espèces est ainsi menacée.
« Plusieurs espèces n’arrivent plus à survivre lorsque les changements dans leur environnement sont trop extrêmes »
Au delà de la destruction des espaces sauvages, le réchauffement climatique est également susceptible de mettre à mal l’existence des non-humains. En raison de la rapidité des évolutions qu’il provoque, certaines espèces ne sont pas en mesure de s’adapter assez vite pour faire face aux conséquences. Ainsi, le dérèglement des cycles de floraison généré par le réchauffement climatique entraine des changements dans l’alimentation des oiseaux migrateurs, dont les effets sur leur métabolisme sont inquiétants. Comme le note l’organisme de conservation Nature Canada, les oiseaux arrivant à leur station de réapprovisionnement trouvent seulement des fruits déjà pourris, les empêchant de récupérer correctement après un voyage épuisant.
Si ces changements drastiques de mode de vie nuisent à ces espèces, ces exemples comptent cependant parmi les moins sévères. En comparaison, une des campagnes menées par Greenpeace en 2010 portait sur les conséquences graves de la déforestation générée par la progression de l’agriculture intensive sur les populations d’orang-outans. Ces derniers, dont l’habitat a été rasé au profit des plantations de palmiers à huile entrant, entre autres, dans la confection des KitKat, ont vu leur population chuter dramatiquement. L’évolution a donc ses limites : dans bien des cas, ces espèces ne sont pas en mesure de s’adapter aux métamorphoses rapides de leur environnement, ce qui met en péril leur survie.
Une responsabilité humaine
Un autre argument opposant ceux qui minimisent le rôle de l’humain dans la perte de biodiversité est le rythme auquel les espèces disparaissent, trop élevé pour être dû à un phénomène naturel. Dans une étude publiée dans Science Advances en 2015, Gerardo Ceballos et ses collaborateurs expliquaient que le taux d’extinction actuel est de 25 à 100 fois supérieur au taux naturel, en ce qui concerne les vertébrés. Cette situation peut être imputée à l’activité humaine. Selon le Devoir, l’accélération des disparitions, observable depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, coïncide en effet avec « une croissance sans précédent de la population mondiale, qui va de pair avec une hausse significative de la consommation et de la destruction des milieux naturels ». Nous pouvons donc être assurés que le rôle de l’humain dans la perte de la biodiversité n’est aucunement négligeable.
« Le taux d’extinction actuel est de 25 à 100 fois supérieur au taux naturel »
Si certains peuvent être réticents à défendre la protection des espèces en raison des retombées économiques de l’exploitation des ressources et de la dégradation des écosystèmes responsables de la disparition de certaines espèces, ne penser qu’aux bénéfices économiques n’est pourtant viable qu’à court terme. Une fois les ressources naturelles épuisées ou la catastrophe environnementale déclenchée de façon irréversible, nous serons en piètre position.
Puisque la disparition des espèces déstabilise la chaîne alimentaire, les actions humaines augmentent inconsciemment le nombre de parasites et contribuent au déclin des espèces potentiellement bénéfiques à l’Homme. Par exemple, selon Science Avenir, le traitement du bétail au diclofénac, un anti-inflammatoire, est toxique pour les vautours. Lorsque la propagation de ces charognards est décimée, les asticots se multiplient sur les cadavres et favorisent la propagation des maladies, aux dépens des humains et des troupeaux. La réduction du nombre de proies signifie aussi que les prédateurs sont menacés, ce qui contribue à une boucle de rétroaction. Il est également nécessaire de rappeler que plusieurs remèdes indispensables, comme la morphine et la quinine, proviennent de la biodiversité. Si ces espèces avaient disparu avant que nous les ayons découvertes, aurions-nous les conditions de vie que nous considérons comme acquises aujourd’hui ?
C’est à nous d’écouter la nature et de l’aider à projeter sa voix. Il est de notre devoir de crier assez fort pour que les élus nous entendent. En préservant la biodiversité, nous ne sommes pas en train de faire de la charité ; au contraire, nous nous rendons service. La nature est une mine de richesse immesurable avec les moyens de calcul dont nous possédons. Arrêtons de penser en termes anthropocentriques, et traitons les autres espèces avec le respect que nous aurions pour notre prochain.