Avec 3,5 milliards de recherches par jour, Google domine le marché des moteurs de recherche. Malgré sa singulière capacité d’unification, ramenant toutes les informations du monde à portée de main, l’entreprise attire sa part de détracteurs. Son plus notable opposant est James Damore, ingénieur logiciel licencié en août 2017 pour son mémorandum détonnant sur l’echo chamber idéologique omniprésente chez Google. Damore fut fouaillé pour ses critiques concernant la discrimination positive à l’embauche, l’ignorance des « différences biologiques » entre homme et femme par rapport aux carrières STIM et au regard d’une culture hostile à la libre expression ; maintenant, il intente un recours collectif contre la compagnie en citant la discrimination et ses politiques de censure. Au regard de cela, Google rejette les allégations et entend se battre en justice. Il s’agit d’un dossier qui remet en question avec force la place de l’industrie technologique dans une société libre.
Que l’on soit en accord ou non avec l’avis de Damore, le contenu de sa plainte de 161 pages est choquant : les captures d’écran des canaux internes de Google révèlent l’utilisation de listes noires contre les employés ayant exprimé des avis dits de droite, la dissuasion des promotions des hommes blanc et même l’approbation de la violence politique. En cela, il faut noter que la discrimination à l’emploi en fonction de la race, du genre, et de l’affiliation politique est illégale en Californie, là où est basée l’entreprise. En ce sens, toujours selon Damore, des propos choquants furent tenu : « Si tu as peur de discuter des valeurs conservatrices [chez Google], peut-être est-ce une bonne chose », dit un employé ; « C’est totalement raisonnable de s’attendre à une réponse [physiquement] violente à l’expression de propos haineux », dit un autre. Une autre personne est même allée jusqu’à proposer que certaines recherches associées à des études universitaires soutenant les thèses de Damore soient censurés, rappelant ainsi les accusations de censure de longue date dont fait l’objet Google concernant son moteur de recherche. Le dossier de Damore contre Google marque ainsi le destin criard d’un avenir où nos sources principales d’information, censées être objectives et fiables, seront perverties par des biais incontestables. En conséquence de quoi, il semble clair que les pratiques internes et externes de Google font l’objet d’une certaine concomitance qui devrait nous inciter à la méfiance.
« Il n’est pas nécessaire d’être conservateur pour voir qu’une culture de censure peut rapidement devenir une culture de la restriction à l’information »
L’étendue du problème
Si l’on en croit Robert Epstein, chercheur à l’ American Institute for Behavioral Research and Technology in Vista, Google Search, n’est pas le seul service spécialisé en technologie accusé d’entretenir une culture de censure : Twitter fait face à des allégations de shadow banning et de ciblage injuste relatif à des comptes associés à la droite, tandis que YouTube se trouve entraîné dans une action en justice en rapport avec la prétendue démonétisation arbitraire de PragerU, une chaîne intellectuelle conservatrice. Par ailleurs, Facebook fut accusé d’avoir accepté de l’argent pour des publicités reliées à des livres conservateurs tout en n’ayant pas disséminé les annonces de ceux-ci, tandis qu’Amazon fut le sujet d’une controverse à propos de son assistant personnel intelligent Alexa, qui aurait supposément donné des réponses unilatérales à des questions politiques. Il n’est pas nécessaire d’être conservateur pour voir qu’une culture de censure peut rapidement devenir une culture de la restriction à l’information et donc de comprendre à quel point il est dangereux pour tous quand ces technologies s’enracinent profondément dans nos vies, dans de telles dispositions.
Pourtant, tous ces cas ont un dénominateur commun : un sous-ensemble de dirigeants aux bonnes intentions portant a priori la supposition que la libre expression devrait être restreinte afin de protéger des groupes historiquement sous-représentés. Cette idée attribue d’abord la sous-représentation à l’oppression sociale et rabaisse conséquemment ceux qui sont perçus comme les oppresseurs, souvent en limitant leur parole ou leur liberté d’agir selon leurs principes. Or, non seulement cette conclusion ne va pas de soi, mais elle efface aussi une bonne partie des voix minoritaires qui ne sont pas en accord avec cette analyse. Par exemple, Marlene Jaeckel, ingénieure logiciel et contributrice au Google Developer Group, refusa d’exclure des garçons de ses cours bénévoles chez Women Who Code ; peu après, elle fut physiquement expulsée d’un évènement des Google Women Techmakers et radiée de l’entreprise, selon elle en raison de ses avis prétendument « très nuisibles à l’égalité des genres ». Le roi est alors nu : même les expériences des minorités, que l’on proclame protéger, peuvent être ignorées quand elles ne s’accordent pas avec les axiomes de la culture de censure.
« La vérité n’est pas l’apanage d’une partie du spectre politique »
Venez et raisonnons
Malgré tout, il y a quelques mesures que l’on peut adopter afin d’encourager de nouveau la libre expression dans l’industrie technologique. Les plus nobles parmi nous boycotteront les services qu’ils considèrent répressifs ; quelques plateformes se soulèvent déjà pour satisfaire cette demande : Gab.ai se présente comme l’alternative à Twitter en étant centré sur une politique de non-censure, alors que DuckDuckGo défie Google en ne conservant pas l’historique des recherches (et ainsi ne permettant aucun filtrage des résultats selon ce dernier). Quelques autres porteront plainte, ce qui aura le précieux effet, même s’ils n’obtiennent pas de succès, de forcer les entreprises accusées à clarifier leurs politiques publiquement, afin que la société puisse être à même de formuler ses propres jugements bien informés. Encore, d’autres préconiseront la régulation gouvernementale de ces compagnies, une stratégie qui pourrait s’avérer utile pour la protection de la vie privée (l’Union européenne oblige quant à elle Google, citant le « droit à l’oubli », à retirer des liens contenant des informations sur des citoyens quelconques s’ils le demandent). Toutefois, dans ce cas précis, le rôle du gouvernement peut facilement être dépassé et l’on est à risque de simplement remplacer les censeurs du secteur privé par ceux du secteur public : par exemple, la Cour suprême du Canada a statué par le passé que le gouvernement canadien peut exiger le blocage des résultats non seulement au pays, mais aussi mondialement ; de l’autre côté du globe, une recherche Google reliée au « massacre de la place Tian’anmen » en Chine ne nous présentera pas grand-chose, étant donné les lois entourant la censure dans ce pays. Devant un tel scénario, il convient de demeurer vigilant.
Néanmoins, soyons honnête : la plupart de nous n’arrêteront pas d’utiliser un service comme celui qu’offre Google, même si l’on pouvait démontrer que la totalité des accusations de Damore sont avérées ; comme pour toutes les technologies révolutionnaires, la technologie qu’offre Google est simplement trop pratique. On ne peut plus revenir en arrière. Les cultures d’entreprise sont en aval de la culture générale et la seule manière de créer un changement durable est de refortifier la compréhension et l’appréciation d’une culture saine et ouverte, ce qui imprégnera lentement mais sûrement certaines de nos institutions. C’est pourquoi, ce changement durable doit s’accompagner d’une critique adressée à des intellectuels tels que Herbert Marcuse, pour qui la tolérance idéale consiste en l’«intolérance contre les mouvements de droite et la tolérance envers ceux de gauche ». Avec une telle conception des choses, il apparaît fort difficile d’empêcher les dérapages ; peut-être est-ce même ce qui ronge à la source ces compagnies. Avec ce germe philosophique s’accompagne une censure qui n’augure rien de bon. La vérité n’est pas l’apanage d’une partie du spectre politique et il nous incombe à tous de le souligner.
En ce sens, nous devons avouer que le tort est possible chez tous et c’est pour cela qu’une culture ouverte au débat des idées est capitale. On ne peut s’approcher de la vérité qu’en accumulant les contributions nourries au sein d’une grande diversité des idées. L’introduction nouvelle de la technologie dans nos sociétés, établissant des liens mondiaux auxquels jusqu’à tout récemment l’humanité n’avait pas eu accès, devrait nous encourager à élargir nos horizons, être braves face aux nouvelles idées et aiguiser nos épées en poursuivant le bon, le beau, et le vrai. Nous ne devrions pas être satisfaits par rien de moins.
Sources
1- https://web.archive.org/web/20170809220001/https://diversitymemo-static.s3-us-west‑2.amazonaws.com/Googles-Ideological-Echo-Chamber.pdf
2- https://www.scribd.com/document/368692388/James-Damore-Lawsuit
3- https://www.usnews.com/opinion/articles/2016–06-22/google-is-the-worlds-biggest-censor-and-its-power-must-be-regulated
4- http://thefederalist.com/2018/01/11/twitter-employees-brag-about-shadow-banning-users-video/
5– https://nationonenews.com/2018/01/11/milo-yiannopoulos-roger-stone-announce-lawsuit-twitter/
6– http://thehill.com/policy/technology/356966-prageru-sues-google-youtube-for-censoring-conservative-videos
7– https://pjmedia.com/trending/facebook-bans-bestselling-author-ad-scandalous-presidency-barack-obama/
8– https://www.dailydot.com/debug/amazon-alexa-black-lives-matter/
9– https://medium.com/@marlene.jaeckel/the-empress-has-no-clothes-the-dark-underbelly-of-women-who-code-and-google-women-techmakers-723be27a45df
10– https://www.theguardian.com/technology/2017/jun/28/canada-google-results-supreme-court
11– https://www.pri.org/stories/2016–06-03/how-china-has-censored-words-relating-tiananmen-square-anniversary