Souvent vus d’un œil noir et réprobateur, les polémistes font partie intégrante de toute société où le discours public jouit d’une entière — ou presque — liberté. Bien qu’étant un terme couramment utilisé, définissons tout d’abord ce que nous entendons par « polémiste » afin de dresser un portrait fidèle de ces maîtres de la controverse qui nous permettra ensuite de préciser davantage l’utilité sociétale de cette figure emblématique de la périphérie intellectuelle.
Un polémiste est, le plus souvent, un écrivain ou un journaliste —ou les deux— qui tient des convictions sociales, politiques ou idéologiques en marge de celles qui forment l’opinion publique. Le polémiste opère souvent avec panache et finesse en publiant des textes provocateurs habilement écrits et, parfois, en s’exprimant ouvertement sur la place publique par l’entremise, entre autres, de différents réseaux sociaux aujourd’hui à notre disposition. Le polémiste se doit, pour sa propre survie intellectuelle, de maîtriser de fond en comble l’art de la rhétorique et de soutenir ce qu’il avance par l’usage adroit de preuves qu’il sélectionne souvent avec une forte dose de cherry-picking.
Le polémiste est donc une figure de l’extrême, qui se retrouve aux plus lointaines extrémités de la droite ou de la gauche sans jamais —ou très rarement — concéder quoi que ce soit à ses adversaires idéologiques.
Pour se faire une idée concrète du polémiste par excellence, voyons l’exemple d’un personnage dont le Québec a fait la charmante rencontre —c’est le cas de le dire— il y a de cela trois années.
« Car oui, la polémique vend. Elle vend beaucoup. Et tant mieux »
Éric Zemmour, polémiste par excellence
Bien que toute société occidentale ait son lot de penseurs des lisières, la France, tout particulièrement, compte parmi ses rangs des figures aussi uniques que fascinantes. Éric Zemmour est difficilement contournable en la matière, et son introduction au public québécois restera longtemps dans les annales. Rappelez-vous, il y a trois ans, Anne Dorval et Xavier Dolan se retrouvaient sur le plateau d’On n’est pas couchés lors de leur tournée médiatique pour la promotion de Mommy. Quelle fut la réaction de Dorval en entendant les quelques propos de Zemmour, également invité ce soir-là — et ancien chroniqueur de l’émission même —, sur le mariage homosexuel ! L’actrice n’a pas hésité à partager sa consternation avec le polémiste et s’en est suivi une brève, mais retentissante altercation lors de laquelle Zemmour n’a pas manqué d’insulter sans gêne Anne Dorval en lui confirmant, entre autres, que « logorrhée » était bel et bien « français » faisant allusion, on le suppose, à la qualité du discours oral de l’actrice —qui était à ce moment, on le comprend, abasourdie.
Même s’il s’agissait — à ma connaissance — de la première victime québécoise de Zemmour, la France est « choyée » de la « poésie » de Zemmour depuis plusieurs années déjà. Éric Zemmour est le polémiste par excellence. Réactionnaire, antiféministe, contre le mariage homosexuel, il incarne une certaine droite dure et le fait avec une rhétorique des plus malignes. Excellent orateur, habile écrivain et muni d’une implacable confiance : tout est de mise pour un des plus fervents représentants d’une certaine droite intellectuelle en France. Et malgré des condamnations judiciaires et des réprimandes fusant de toute part, Zemmour est régulièrement invité sur les plateaux de télévision, est journaliste au Figaro et est auteur de plusieurs essais et romans best-seller. Car oui, la polémique vend. Elle vend beaucoup. Et tant mieux.
Certes, ce qui diverge de la normalité a toujours fasciné les esprits, même si ce n’est que par pur divertissement, mais il y a beaucoup plus bénéfique à la polémique que la simple enflure des coffres. Le polémiste est, en effet, l’infirmier qui administre le vaccin contre le dogme. Voyons ensemble pourquoi.
« Le polémistes est, en effet, l’infirmier qui administre le vaccin contre le dogme »
Un mal nécessaire ?
Il est tout à fait normal de se demander quel est l’apport réel du polémiste à notre société actuelle. Est-il vraiment nécessaire de s’exposer à tant de propos controversés sur les sujets les plus sensibles qui constituent les enjeux contemporains auxquels les sociétés font face ? Ne s’agit-il pas d’une simple distraction nuisible qui n’a pas lieu d’être ?
Bien que ce ne soit pas chose plaisante, le polémiste est d’une importance de premier plan pour une société qui arbore le progrès comme raison d’être. Il soulève des questionnements et des enjeux souvent bien dissimulés derrière une autocensure sociale qui, pourtant, n’est pas garante d’un consensus universel. En sacrifiant en quelque sorte son statut social, le polémiste enflamme la scène publique et la fait réagir grâce à ses déclarations souvent choquantes et déconcertantes. Même si la réaction première se veut en être une de colère et de lynchage public comme c’est souvent le cas, le polémiste nous offre cependant un précieux cadeau sous forme de tâche : il requiert une réponse argumentée et raisonnée sur les raisons de son égarement — si tel est le cas, bien sûr.
Ainsi, le polémiste bouscule le processus de banalisation des valeurs sociales et remet constamment en question nos idées préconçues des normes et des règles sociétales. Conséquemment, l’exercice de réfutation qui s’organise en réponse aux propos du pamphlétaire permet de combattre les dogmes et de renforcer et justifier les croyances déjà établies si celles-ci s’avèrent, évidemment, vraies et justes. Outre cette possible solidification des valeurs communément acceptées, le polémiste n’a pas nécessairement tort sur tous les fronts et alors, par la loi qui régit le progrès, il incombe au discours populaire de modifier ses arguments et ses conclusions sur le sujet débattu.
« L’exercice de réfutation qui s’organise en réponse aux propos du pamphlétaire permet de combattre les dogmes [… ] »
Comment lire un polémiste ?
Il est possible de repérer rapidement un polémiste si l’on se fie aux quelques caractéristiques mentionnées plus haut. Après quelques articles, essais ou prises de parole, il est assez clair qui des chroniqueurs en porte l’étiquette.Mais comment faire pour s’approprier les propos d’un polémiste ? Évidemment cet article n’a pas pour but d’être prescriptif, mais voici quelques idées tout de même.
À la lecture d’un polémiste, le discernement semble être un prérequis indispensable. Déjà, être conscient de la nature du texte et de son auteur est un bon point de départ et permet de faire la part des choses. La polémique, et en l’occurrence le polémiste, peut créer un effet rassembleur puissant comme on le voit ces jours-ci avec, par exemple, l’alt-right et les Milo Yiannopoulos de ce monde. Il est important, je pense, de ne pas céder à la tentation d’adopter la rhétorique, aussi convaincante qu’elle soit, du polémiste. La vie sociale est une collection de compromis et de nuances et il me semblerait plus légitime que les propos des polémistes altèrent la teinte de vos propres idées qu’elles les remplacent complètement par un arrêté catégorique sur des enjeux sensibles et complexes. Il serait bien triste de succomber à ce que le polémiste décrie lui-même : le fanatisme.
Évidemment, chacun est propriétaire de son opinion et si l’intégralité des propos des polémistes résonne avec vous, il est en votre droit de les adopter. Par contre, l’histoire nous montre que l’humain ne s’est jamais, à quelques exceptions près et souvent temporaires, contenté d’une position extrême et qu’un milieu balancé, mais conscient des extrêmes, est le plus souvent favorisé.
Par ailleurs, l’indignation est une réponse naturelle à tout propos qui se veut diamétralement à l’encontre des valeurs que nous chérissons le plus. Toutefois, cette indignation se doit d’être passagère, car éblouissante et incapacitante, elle devient un outil de plus pour l’auteur des dires que vous aurez jugés controversés et lui permettra tout simplement d’enfoncer le tison dans la plaie que vous lui présentez. En somme, il semble davantage adéquat de privilégier une approche nuancée et conciliante. Bien qu’elle puisse sembler arborer des allures utopiques, il m’apparaît qu’elle offre une ligne directrice efficace qui permettrait une optimisation bien nécessaire du discours public.