Après sa diffusion dans de nombreuses salles en France, Amandine Gay présente cet hiver son film-documentaire Ouvrir la voix au Québec. Le film porte sur la réalité des femmes noires en Europe blanche, et ce, en donnant la parole aux principales concernées, considérées comme expertes de leur existence. C’est en véritable pionnière que celle qui a réalisé et écrit ce documentaire pave le chemin à un féminisme dans lequel de nombreuses femmes afro-descendantes du Québec pourront se reconnaître.
Femmes et noires en Europe
Ouvrir la voix ratisse large. C’est sans complaisance que la vingtaine de femmes interrogées abordent différents thèmes tels que la santé mentale, les relations amoureuses et l’homosexualité, le système d’éducation, les liens avec les membres de leur famille, la relation avec leur corps et leur chevelure ou encore la pression qu’elles ressentent de devoir en faire deux fois plus pour réussir. Sans détour, elles expriment la matérialisation dans leur quotidien de ce que la chercheure et professeure afro-américaine Kimberlé Crenshaw a appelé l’intersectionnalité au début des années 90. Le croisement entre leurs identités de femme et de noire, les deux se voulant indissociables. En dépit du fait que la race soit une construction sociale, le racisme et la discrimination existent et continuent de se manifester de façon très réelle pour ces femmes. Le racisme expérimenté est sexualisé tout comme le sexisme qu’elles vivent est racialisé.
Célébrer leur résilience
Bien que les réalités énoncées dans le documentaire soient dures à entendre, les femmes qui les expriment rayonnent par leurs propos et leur force. Plusieurs d’entre elles s’adonnent même au rire. Dans le documentaire, la place est entièrement donnée à leurs témoignages, et ce, sans flaflas et artifices. Ouvrir la voix est rassembleur et émancipateur en nommant des réalités trop peu abordées en Occident.
En donnant la parole aux femmes noires, Amandine Gay permet à celles qui composent son public de ne plus se sentir seule. La colère, l’incompréhension et la douleur souvent ressenties face à ces enjeux trouvent une légitimité et un sens à l’écoute des divers témoignages. D’ailleurs, ces témoignages attirent en salles une grande diversité de spectateurs et spectatrices, et pas uniquement des femmes afro-descendantes. C’est donc un pari réussi pour Amandine Gay qui s’est heurtée à des portes closes pour trouver le financement pour son film.
Un chemin ardu à paver
Dans diverses entrevues accordées, la documentariste explique la réception froide qu’elle a d’abord reçu face à des bailleurs de fonds potentiels à l’égard de son projet, considéré alors comme un « film de niche ». Amandine Gay s’exprime néanmoins sur le fait que bon nombre de femmes noires avaient pourtant envie d’y prendre part. C’est donc en étant entièrement autofinancé qu’Ouvrir la voix est parvenu à tailler sa place en France et en Europe. Le film a rassemblé les foules et ouvert la discussion. Il a également raflé les honneurs, notamment en remportant le Prix du public des Rencontres internationales du documentaire de Montréal cette année. C’est là le signe de la grande détermination de Gay qui s’est battue comme une guerrière pour démontrer la pertinence et la nécessité d’un tel long-métrage. À ceux et celles qui remettent en question le sentiment d’appartenance de ces femmes à leurs pays, ces dernières rétorquent qu’elles sont bel et bien chez elles. Bien que plusieurs d’entre elles hésitent à demeurer en Europe, notamment pour épargner à leurs enfants le racisme qu’elles ont elles-mêmes vécu, elles nous assurent qu’elles auront le dernier mot. Les femmes afro-descendantes trouveront une fierté à la fin du film. Le film célèbre leur vision, leur courage et leur force dans une société qui tend à les dévaloriser. Plutôt que d’être uniquement dans une posture de revendicatrice ou d’attente, Amandine Gay a choisi de créer et de mettre en forme la vision de ce que bon nombre de femmes noires aimeraient voir sur leurs écrans de cinéma. On ne peut que saluer l’audace de Gay et de toutes les femmes ayant pris la parole dans ce documentaire. En ce sens, Ouvrir la voix est définitivement un film à voir et à revoir