Le mois de février s’ouvrait sur l’indignation et la colère causées par le verdict qui acquittait Gerald Stanley du meurtre au second degré de Colten Boushie, un jeune de 22 ans de la Première Nation Red Pheasant. L’encre n’avait pas fini de sécher sur cette affaire qu’un autre verdict de non-culpabilité secouait le Canada. Cette fois-ci, c’est Raymond Cormier qui fut prononcé non-coupable du meurtre de Tina Fontaine, une jeune fille de 15 ans de la Première Nation de Sagkeeng, retrouvée sans vie il y a trois ans et demi dans la rivière Rouge à Winnipeg. Deux verdicts à quelques semaines d’écart qui jettent la lumière sur les injustices auxquelles font face les peuples autochtones. Deux cas qui soulignent de manière douloureusement évidente les failles de la société canadienne. Deux vies perdues et des proches qui réclament justice, en vain.
Comment expliquer qu’un accusé ait été acquitté alors qu’il ne nie pas être responsable de la mort du jeune Colten ? Dans cette affaire, la Couronne l’a accusé de meurtre au second degré, impliquant la volonté de tuer, ce qui n’a jamais pu être établi au delà du « doute raisonnable », faute de preuves. Néanmoins, le fait est que Gerald Stanley a causé la mort de Colten Boushie, que ce soit volontaire ou non, ce pour quoi il aurait pu être condamné. En effet, si le chef d’accusation avait été homicide involontaire, Stanley serait-il derrière les barreaux ? Ce chef d’accusation aurait-il pu être accepté sans y voir là une autre instance de discrimination contre un membre d’un peuple autochtone ?
Pour ce qui est de l’impact du racisme dans ces affaires, il est impossible d’ignorer le traitement dégradant subi par la famille de Colten Boushie à l’annonce du décès du jeune homme : l’intervention brutale des policiers, les accusations et la méfiance, un policier qui demande à la mère de Colten, effondrée après avoir appris la mort de son fils, « M’dame, vous avez bu ? ».
Comment ne pas sourciller devant le jury, composé entièrement de personnes blanches grâce au pouvoir de récusation péremptoire qui permet à chacun des partis de rejeter des jurés potentiels sans avoir à fournir de raison ? Ce pouvoir a permis à la défense de rejeter du processus de sélection des individus d’apparence autochtone, ce qui lance d’ailleurs un débat sur de possibles refontes constitutionnelles. Tant de coups portés dans cette affaire qui révèlent des problèmes inhérents au système judiciaire canadien.
Dans le cas de Tina Fontaine, dont la cause du décès n’a toujours pas été déterminée, les preuves étaient si minces qu’elles n’auraient de toute façon pu conduire à un verdict concluant. « Le système, tout ce qui faisait partie de la vie de Tina, l’a laissé tomber. Nous l’avons tous laissé tomber. Nous devons, en tant que nation, faire davantage pour nos jeunes gens » disait Sheila North Wilson, la grande chef du Manitoba Keewatinowi Okimakanak, suite à ces événements. Quelques jours avant sa mort, alors qu’elle avait été placée sous tutelle du Centre de la jeunesse et de la Famille du Manitoba, on l’avait retrouvé évanouie dans un parking, des drogues dans le sang. Alors qu’elle était portée disparue, elle n’avait pas été prise en charge par deux policiers qui l’avaient interpellé dans la voiture d’un homme qui cherchait « une fille avec qui trainer ».
Quelle ampleur prit le racisme systématique dans les événements précédant la mort de ces deux jeunes gens et dans les événements qui les suivirent ?
« Un manque de preuve ; un manque d’action », voilà une formule qui ne cesse de se répéter et qui nous rappelle notamment le cas, il y a à peine un an et demi, de six policiers, soupçonnés d’agressions physiques et sexuelles envers des femmes autochtones dans la ville de Val‑D’or, qui n’avaient pas été incriminés, faute de preuves.
Le Canada, du haut de ses 150 ans, n’est pas imperméable à la haine et au racisme, contrairement à ce que certains aimeraient penser. Il ne faut pas oublier le passé colonialiste du pays qui ne fait pas que le hanter ; mais se fait bien sentir et se matérialise tous les jours. Pour cela, le système d’éducation canadien se doit de jouer un rôle crucial en éduquant les enfants — futurs citoyens, futurs politiciens, futurs législateurs — sur l’histoire de leur pays. Au Québec, par exemple, le programme scolaire fut dénoncé l’année dernière pour le manque d’intérêt qu’il accorde à l’expérience des peuples autochtones. C’est seulement dans des incidents comme ceux de Colten Boushie et Tina Fontaine qu’il apparaît sous son jour le plus sanglant. N’oublions jamais que le Canada s’est construit sur le génocide de plusieurs peuples autochtones.