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Une quête stérile de vérité

Véritable show théâtral, Jean dit étonne, dérange, puis lasse. 

Webmestre, Le Délit | Le Délit

« On va jouer à un jeu, c’est simple, quand je dis ‘Jean dit’, tu fais ce que Jean te dit de faire, mais quand je dis pas Jean dit, tu fais rien, t’as compris ? » Jean, c’est l’objet d’un culte qui ne demande qu’une chose : la vérité. Ce jeu, sans cesse invoqué au cours de la pièce, fédère un à un les personnages autour de la vénération de Jean. Jean  Dit s’organise autour de cet unique schéma, porté par un texte et une mise en scène qui poussent le procédé théâtral dans ses retranchements. Malgré les grands moyens et l’audace notable employés par Olivier Choinière, Jean Dit s’essouffle rapidement, incapable de porter son potentiel au-delà d’un show assourdissant porteur d’un message inachevé. 

La violence de la vérité 

La salle principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, déjà, instaure l’ambiguïté entre salle de concert et salle de théâtre. Immense, elle est saturée d’éclairages qui ne s’éteignent qu’à la moitié de la pièce, et ornée de trois écrans géants qui diffusent les décors quand ils ne retransmettent pas la pièce. L’ambition d’un show est assumée. Dans la fosse, le jeu d’un groupe de death métal se mêle à celui des acteurs. Chaque fois qu’un nouveau personnage est converti au culte, le groupe joue et le chanteur chante une phrase s’articulant autour de « la vérité ». Le son, très fort, surprend le public peu habitué aux sonorités de la musique métal. 

Le choix du death métal est audacieux, il est la vérité qui nous parvient brouillée, nous fait peur, et pourtant nous frappe régulièrement. La vérité alors transcende littéralement les corps pour atteindre le·la spectateur·rice. Les éléments de mise en scène sont autant d’outils utilisés pour pousser le·la spectateur·rice à s’impliquer dans la question de la vérité. La musique, mais aussi les lumières allumées ou encore les acteur·rice·s qui s’adressent au public déconstruisent sans relâche le quatrième mur. Olivier Choinière, metteur en scène et auteur de la pièce, nous plonge la tête la première dans les méandres de ce culte absolu.

Un questionnement inachevé 

« Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité », psalmodient les personnages les uns après les autres. C’est d’abord une mère, puis un fils, une amie, un employeur, un itinérant, un prof d’histoire, une journaliste, une médecin, jusqu’au premier ministre, qui sont enrôlé·e·s. Cette volonté de représenter autant d’acteur·rice·s de la vérité porte le potentiel d’une réflexion critique intéressante sur notre rapport à la vérité individuellement, et collectivement, sa relativité ou son caractère transcendant et la nécessité de n’énoncer qu’elle, ou la possibilité de mentir. Dans le contexte actuel de remise en cause permanente de la vérité, Jean Dit avait initialement été écrite comme une fable dépeignant l’ascension d’un  leader politique au pouvoir de par son culte de la vérité. Elle a ensuite évolué pour s’affirmer en une vérité qui existe en chacun·e et qui pourtant unit tous les personnages. Si la pièce frôle parfois ces problématiques, son schéma complètement linéaire résulte d’abord en une conception unique de la vérité, à peine questionnée ou débattue. Le culte grandit mais ne questionne pas plus à la fin qu’au début. Durant deux heures, les acteur·rice·s présent·e·s sur scène se multiplient pour mener à une escalade stérile qui débouche sur un dénouement absurde et rocambolesque. L’auteur propose un thème central, et un concept déroutant, mais ne parvient à se saisir ni de l’un ni de l’autre et répète encore et encore le même procédé, jusqu’à causer l’ennui des spectateur·rice·s.

Peut-être que l’intérêt de la pièce réside, selon l’auteur, justement dans ce trop-plein, cette intensité de chaque instant qui ne mène à rien. Dans ce cas, la pièce gagnerait à être explicitée pour ne pas laisser le·la spectateur·rice abasourdi·e par un spectacle qui souhaite l’inclure mais le·la laisse froid·e.


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