Constat : « Dieu est mort et nous l’avons tué ! » Derrière cette phrase de Nietzsche ô combien trop souvent remaniée à toutes les sauces se cache une lucidité à en faire pâlir plus d’un : le savoir tragique est un gai savoir. Comprendre, avec fermeté et résilience, l’état des choses, les conséquences de notre propre drame, voilà un exercice auquel Nietzsche nous conviait relativement à la question très spécifique de la signification du monde. Pourtant, en tant que peuple, avons-nous répondu à son appel dans un sens plus large, c’est-à-dire d’une manière à penser notre rapport à des vérités qui nous abîment ?
Nous tremblons de froid, nu devant une réalité qui ne connaît pas la tendresse
Au regard du dément qui annonce la mort de Dieu dans le Gai savoir, qu’avons-nous réellement pour nous ? À sans cesse accuser tout un chacun des drames qui jonchent notre quotidien, sommes-nous réellement honnêtes face à notre propre petitesse si misérable ? Au demeurant, sommes-nous suffisamment nettoyés des entraves d’une société fatiguée qui se complait dans ses propres déchets ? Bien sûr que non. Notre morale est poussiéreuse, nos grands mythes déconstruits et notre rapport au monde risible. Alors que nous aurions pu croire qu’un peuple délivré de certaines de ses croyances soit à même d’accepter davantage un monde cru, nous tremblons de froid, nu devant une réalité qui ne connaît pas la tendresse.
La réflexion relative à la mort de Dieu est d’autant plus difficile et non-intuitive pour le non-croyant qu’il est bien souvent lui-même un nihiliste qui n’a rien restitué derrière le rideau masquant la réalité. Pourtant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, nos multiples illusions sur le monde sont des manières ingénieuses d’appréhender avec une certaine subtilité cette réalité. Le tragique de l’existence commande que nous acceptions certaines de nos souffrances comme nécessaires, sans pourtant oublier que nous n’avons pas à tout déconstruire pour y parvenir. L’invitation de Nietzsche semble donc en opposition totale avec la doxa moderne : nous rejetons en totalité sur l’autre l’excuse de nos souffrances et la minute d’après, nous commandons avec banalité la déconstruction du monde en apéritif.
Le gai savoir, l’amour de notre destin, est un impératif à nous-mêmes pour lever le bras en l’air et agripper de toute notre volonté cette lumière
À l’inverse, la formule empruntée au stoïcisme par Nietzsche, l’amor fati, sous-entend d’accepter, non pas dans un sens passif mais au contraire d’une manière affirmative, certaines fatalités propres à l’humain. Avant de pouvoir envisager un peuple plein de vie, il incombe à tout un chacun d’accueillir un certain nombre de choses comme nous voudrions accueillir l’être cher parti pour un long séjour : les bras pleinement ouverts. Dans cette optique de l’attachement, nous pourrions percevoir une rupture amoureuse comme étant une étape nécessaire et ainsi ne pas chercher à réhabiliter une histoire inutilement. Corollairement, la mort de nos proches est inévitable. Elle nous frappera de plein fouet, nous jettera sans doute au fond d’un abysse à partir de laquelle nous aurons sans doute de grandes difficultés à entrevoir le moindre espoir d’une lumière au loin. Pourtant, le gai savoir, l’amour de notre destin, est un impératif à nous-mêmes pour lever le bras en l’air et agripper de toute notre volonté cette lumière. Nous souffrirons toute notre vie pour tout un tas de raisons différentes : acceptons-le et surpassons ce constat tragique pour enfin vivre l’existence que nous voulons nous donner.