Dans la nuit du 22 au 23 mars, des étudiant·e·s en grève de la Faculté de droit de l’Université de Montpellier se sont fait violemment expulser—à coup de planches de bois et possiblement avec des tasers par des hommes cagoulés— de l’amphithéâtre qu’ils occupaient en protestation au Plan Étudiants, une réforme du système d’éducation français. Selon le récit de certains de ces étudiant·e·s, des membres de l’administration de la faculté, notamment son doyen, auraient facilité l’accès de la salle aux hommes cagoulés et se seraient enfermés dans les locaux avec eux une fois les étudiant·e·s mis dehors. Certains des manifestant·e·s disent même avoir reconnu deux de leurs professeurs de droit parmi les agresseurs. Pris de cours, plusieurs manifestants se sont retrouvés à l’hôpital suite aux coups assénés par le groupe d’hommes cagoulés. La violence de la scène, capturée sur téléphones et diffusée sur le web, secoue particulièrement et amène à de nombreuses réflexions.
Quelles sont les responsabilités d’une université, au sens institutionnel ? D’une manière plus pratique, a‑t-elle une responsabilité dépassant toutes les autres qu’elle pourrait avoir ? Outre constituer un lieu où la jeunesse est formée dans la transmission des connaissances et où le savoir se construit, l’Université s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large : il s’agit d’un lieu social propice au bouillonnement. Dans cette perspective, il apparaît adéquat d’avancer que l’Université, en tant que lieu, ne devrait pas être si rigide, mais au contraire devrait favoriser un contexte modulable où elle se ré- organiserait sans cesse au fil des changements sociaux.
Au lieu de chercher à tout prix à assurer le déroulement habituel des cours en matraquant des étudiant·e·s, les agresseurs cagoulés auraient pu reconnaître les multiples rôles de cette institution, dont celui notamment de permettre l’expression à travers la manifestation. En ce sens, lorsque des étudiant·e·s québécois manifestaient en 2012 contre la hausse des droits de scolarité, il semble un peu trop simpliste de dire que ceux-ci bloquaient purement et simplement le bon fonctionnement de l’université. Plutôt, il conviendrait de penser que les luttes auxquelles se prêtaient ces étudiant·e·s — maintien de l’accès à l’éducation, gratuité scolaire— surplombaient en importance la fonction normale de l’Université, c’est-à-dire être l’un des lieux formels de la transmission unilatérale du savoir.
La responsabilité de l’Université, en tant qu’institution, tient dans sa capacité à être flexible, mais aussi un lieu propice aux changements. Ainsi, parfois loin de la normalité, la responsabilité de l’Université repose sur son indéniable particularité d’être un lieu de savoir où un contexte extraordinaire puisse émerger et où une créativité foisonnante permettra le règlement de l’inacceptable. La responsabilité de l’administration de la Faculté de droit de l’Université de Montpellier l’appelait donc à dialoguer avec les étudiants, ceux-là même qui contestaient ce qu’ils considéraient tenir de l’inacceptable, et non rester cois devant la situation, sinon en l’ayant exacerbée.
Dans ces circonstances, tout un chacun se doit d’être en mesure de comprendre d’autres perspectives que la sienne. Prendre une distance avec ses propres intérêts ouvre la possibilité d’une com- préhension des enjeux qui, au final, dépassent un groupe particulier. Cette demande de flexibilité est d’une grande importance aussi dans la manière dont chacun·e d’entre nous envisage la solidarité. Être solidaire envers autrui semble exiger de pouvoir être flexible : pouvoir peser l’importance de ses propres préoccupations et de ses propres buts pour s’engager dans des causes qui nous dépassent. Dans le cas du Québec, l’accessibilité aux études de milliers d’étudiant·e·s sur plusieurs années dépasse une session de perdue, aussi désagréable que cela puisse être. Dans le cas de Montpellier, le désir de mettre fin à l’occupation d’une salle de classe —au nom du déroulement normal des cours— ne justifiait en aucun cas une telle démonstration de violence. Quand vient le temps de se fier à la solidarité des autres, il est de notre responsabilité de se donner tous les outils pour l’assurer.