Les années passent et les choses changent : un désintérêt flagrant occupe aujourd’hui impérieusement la question de la langue française au Québec. D’une jeunesse née de la mondialisation a surgi une langue folklorique, une langue d’apparat en adéquation avec la douce et si spectaculaire hégémonie anglaise. En ce sens, une mise en garde, pourtant si souvent répétée, s’impose encore. Notre coup de gueule se veut un écho découragé à l’appel lancé par notre ancienne rédactrice en chef, Ikram Mecheri, qui, il y a un an déjà, nous invitait à nous réapproprier une défense historique du fait français.
Le fait français au Québec ne demande qu’une chose : une défense excessive, sans condition. L’heure du dialogue n’est plus la nôtre ; le temps de la plume d’acier doit nous réengager
Le problème ne tient pas exclusivement en une francophonie abîmée par l’impériosité culturelle de nos voisins ; elle est, de nos jours, essentiellement l’affaire d’une francophonie molle, sans âme, vidée de sa puissance d’esprit. Conséquemment, il n’est pas rare d’entendre parler de promotion de la langue et non pas de la défense de celle-ci. Si la deuxième n’exclut pas la première, elle ne saurait se réduire à celle-ci. Ainsi, la situation linguistique du Québec, plus particulièrement en raison d’un Montréal cosmopolite, commande que nous soyons dignes de cette tension incroyablement mince où la défense s’amarre au vivre ensemble.
Certainement, la situation nous apparaît d’une tristesse affligeante. Contrairement aux musiciens du Titanic qui continuaient à jouer leur musique tragiquement, avisés quant à leur sort, les mollassons francophones de notre époque déambulent sur un bateau qu’ils ne savent même pas à la dérive. Par ailleurs, loin d’être quant à lui un cas perdu, le fait français au Québec ne demande qu’une chose : une défense excessive, sans condition. L’heure du dialogue n’est plus la nôtre ; le temps de la plume d’acier doit nous réengager.
L’important reste à souligner. La langue française est si grande : elle sublime le réel à travers des mots tels que le rapport au monde ne peut en être que magnifié. Peut-être pire que l’anglicisation, il y a l’avènement probable d’une novlangue calquée de l’anglais. Une langue paupérisée devenue, littéralement, une traduction de cette « langue des affaires » dont certaines personnes chérissent l’avènement comme d’autres pouvaient autrefois désirer l’assimilation des francophones au Canada pour d’autres raisons. Alors que ces situations divergent en bien des choses, elles ont en commun le désintérêt pour l’intégrité d’une langue.
La francophonie de cocktail
À McGill, l’Organisation de la francophonie à McGill (OFM) —une belle initiative sur papier— prenait forme il y a quelques mois, née du regroupement de différents acteurs ayant pour souhait « d’instituer une organisation qui aspire à être porte-parole de cette grande communauté » francophone. Ce vœu, pieux s’il en est un, ne peut que le demeurer si l’OFM ne se contente que de la promotion d’une espèce de francophonie de cocktail —soirées culturelles, petites publications sur les réseaux sociaux ici et là. Difficile d’assumer le rôle de « porte-parole » par une parole molasse et convenue. L’incohérence fait grincer l’histoire.
Cette attitude de larbin ne saurait trouver une réponse chaleureuse chez celles et ceux pour qui la survie d’une langue vaut bien quelques affaires manquées
N’oublions pas que le français n’a pas été préservé depuis la Révolution tranquille à coup de beaux discours ou de soirées de réseautage. Ce sont parfois des lois-massues telles que la Loi sur la langue officielle, celle-là même qui reconnaît le français comme seule langue officielle du Québec ou encore la Charte de la langue française qui, en grande partie, ont permis le maintien de l’usage du français dans la sphère publique. Ces mesures ont su affirmer le caractère vital de notre langue en tant que caractéristique distinctive de la société québécoise au sein du monolithe anglophile nord-américain. Ces lois, loin d’être des symboles de fermeture ou d’oppression, sont les porte-étendards de certains gouvernements québécois dans leur lutte contre un mastodonte culturel qui n’a que faire de l’oxygène nécessaire aux autres cultures. Des dirigeants courageux —ces Bourrassa, Lévesque, Laurin et autres— se sont autrefois donné les moyens de préserver un patrimoine culturel et linguistique. Pour autant, nous n’avons jamais vraiment pu saisir ces incroyables moyens techniques pour ce qu’ils sont : des moyens pour des fins. Encore nous a‑t-il resté à bâtir notre demeure, ce que nous tardons encore à faire.
Ici et ailleurs
Toutefois, tout n’est pas noir. Pas plus tard que l’an dernier, le Québec francophone a offert — momentanément certes— un bel exemple de cet esprit combatif à privilégier. Il faut dire que la cible était grande comme le mont Royal : lors de l’ouverture de la nouvelle boutique Adidas au centre-ville en novembre 2017, le gérant a tristement lancé trois lignes de français afin d’«accommoder la Ville de Montréal et les médias francophones » pour par la suite passer à l’anglais. Philippe Couillard, Valérie Plante, Régis Labeaume et plusieurs autres, tous ont vilipendé l’attitude leste qui n’a pas logis qu’en une demeure. Il serait mal avisé de voir dans cet exemple qu’une tentative de généraliser un événement anecdotique : il faut y voir au contraire un pied à terre à poser, un « non » ferme face à une tendance. Hélas, c’est bien de cette fermeté qu’il semble manquer au sein de la francophonie de cocktail. Du reste, la crispation de la réaction doit laisser place aux ambitions de la ferveur.
Mais cette francophonie de tartuffes n’est pas implantée qu’à McGill. Le tartuffe en chef —aussi connu sous le nom d’Emmanuel Macron— repousse les limites de cette logique de beau-discours. M. Macron, qu’il est beau de vous entendre parler de green tech ou de vous entendre prescrire comment l’anglais permettrait de renforcer une francophonie à la botte de plus grand qu’elle. Quoi de plus absurde au sein d’un bassin de 350 millions d’anglophones qui se partagent les plus grandes richesses mondiales et de colossaux empires culturels. Cette attitude de larbin ne saurait trouver une réponse chaleureuse chez celles et ceux pour qui la survie d’une langue vaut bien quelques affaires manquées.
Bien sûr, les francophones peuvent apprendre l’anglais. Il y a également une certaine richesse à cette langue. Mais l’inverse étant trop peu souvent le cas, l’absence d’une concomitance respectueuse à laquelle nous pourrions nous attendre dans une moindre mesure nous enseigne sur l’attitude à notre endroit.
Le silence des Québécoises et Québécois francophones est donc particulièrement désolant, considérant la proximité qu’ils peuvent avoir avec une épopée qui ne s’inscrit pas que dans des livres d’histoire
Le devoir d’agir
Certains pourraient nous demander pourquoi défendre le français activement et fermement au sein d’une institution anglophone est un devoir si important. Après tout, si les étudiants francophones d’ici et d’ailleurs ont fait le choix d’étudier en anglais, n’est-ce pas de leur droit ? Aussi cosmopolite et anglophone que McGill puisse être, il convient de rappeler que l’université se trouve au sein d’un Québec francophone avant d’appartenir à un Canada bilinguo-anglophone, ne serait-ce qu’en matière de répartition des compétences entre la province et le fédéral. En ce sens, une partie significative du paysage linguistique québécois est toujours en adéquation avec l’attitude des étudiants étrangers au regard de l’emploi de la langue.
Les francophones qui viennent ici, et surtout ceux qui sont nés ici, ont donc une responsabilité. D’une part, ils ont la responsabilité de comprendre le contexte québécois et nord-américain, son histoire, ses enjeux. En plus de cela, il convient également de rappeler que le Québec n’est pas une France en territoire anglo-saxon et que les échanges avec l’anglais sont beaucoup plus prépondérants qu’ils peuvent l’être ailleurs. Au regard de cela, le silence des Québécoises et Québécois francophones est donc particulièrement désolant, considérant la proximité qu’ils peuvent avoir avec une histoire qui ne s’inscrit pas que dans des livres d’histoire. Ces mêmes étudiants seront les créateurs influents de demain, sinon les médiocrates de l’Empire. Au demeurant, dans une perspective historique qui gagnerait à être maintenue et partagée, une langue présentement menacée nous demande une mobilisation massive et immédiate.
Francophones, étudiez en anglais, parlez en anglais autant qu’il vous plaise à ne pas être bègue, mais de grâce ne restez pas pantois devant les enjeux de votre patrimoine. Aux larbins, pardonnez-nous de n’avoir pour réponse à la crise que les espoirs lointains d’un respect enfin établi pour notre langue et notre culture encore attendue. Peut-être notre parler n’est-il plus de circonstance, mais il est historiquement d’importance.