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La Chambre des Merveilles

Le dernier défilé Palomo Spain inaugure un nouveau genre.

Palomo Spain propose un univers. Chaque collection du jeune créateur Alejandro Palomo nous amène, depuis 2016, dans un endroit, un rêve particulier, que ce soit un hôtel, une partie de chasse ou, plus récemment encore, un cabinet de curiosité.

Un défilé baroque

Sa collection printemps-été 2019 prend place dans un décor de vieux musée proche de l’abandon, avec des vitrines de bois couvertes de tissu blanc, un parquet grinçant et un éléphant naturalisé, entre autres animaux. Les invité·e·s vont assister, pendant une demi-heure, à un spectacle insolite, couvert par une musique d’inspiration indienne, rempli d’effets de lumière, de cliquetis, de murmures résonnant dans la galerie.
Les mannequins sortent les un·e·s après les autres. Leur pas est lent. La consigne du directeur artistique : marcher tel qu’on se sent, puissant·e. Le but est de marcher calmement, de montrer que le vêtement fait partie de son identité.
Le premier mannequin annonce la couleur pour le reste du défilé : coiffé d’un immense panache de plumes d’autruches projetées vers l’arrière, le tout sur un chapeau colonial orné d’une moustiquaire de mousseline descendant sur une veste blanche d’habit XVIIIe. Le tout surmonte une jupe assortie et des cothurnes romaines en cuir blanc montant jusqu’au genou.
Ainsi se succèdent des vêtements aux mêmes inspirations : la Rome antique, l’Angleterre coloniale, les costumes de théâtre, les stars hollywoodiennes des années 1930, les costumes de cour du XVIIème et du XVIIIème siècles. Le tout bruit des étoffes, des plumes, des perles, des franges, des capes, sous le pas des souliers à boucles et des escarpins.

Un éclectisme total

La collection fait référence aux cabinets de curiosité, Wunderkammer en Allemand, ces salles de présentation de collections qui ont fleuri à partir de la Renaissance, alors que les pays européens s’ouvraient aux « bizarreries » du reste du monde. Le goût des très riches collectionneurs pour les naturalia, coraux, œufs d’autruche, noix de coco, montés en orfèvrerie alors, comme ici en sac à main, était caractérisé par un éclectisme assumé. Le but était de présenter à travers sa collection ses goûts les plus personnels, selon une organisation spécifique au collectionneur, qui voulait impressionner ses visiteurs, leur donner les clés de lecture que lui seul possédait. Le parallèle avec une collection de mode, rassemblant les influences les plus diverses pour leur donner une unité, est vite tracé.

Courtoisie de Palomo Spain

Un genre de mode

Surtout, ce qu’accomplit Alejandro Palomo dans ses œuvres, c’est la refonte complète de la notion de genre dans le vêtement, une différenciation que l’on peut faire remonter très loin dans l’histoire de celui-ci. En effet le vêtement, construction éminemment sociale depuis l’Antiquité, sert à distinguer les fonctions, les classes sociales, les choix de vie, les hommes et les femmes. Cette dernière distinction a été, dans l’histoire de la mode, plus ou moins accentuée ou gommée, en fonction des époques et des acteur·rice·s. On a beaucoup parlé de mode « unisexe », concernant l’introduction de codes vestimentaires masculins dans le vestiaire féminin, tels que le pantalon, le smoking, ou plus récemment les sweatshirts présentés comme portés de la même façon pour homme et pour femme. Plus rarement on a vu l’introduction d’éléments féminins dans le vestiaire masculin, rappelons-nous des robes pour homme des années 60, telle la « sumérienne » de Jacques Estérel. Or, ce prétendu « unisexe » adapte chaque type de vêtement à un genre, le féminise, masculinise, jusqu’à perdre son unité même. Palomo Spain, lui, puise autant dans le vestiaire traditionnellement féminin que masculin, et l’embellissement de chaque pièce, par l’imprimé, le drapé, les détails cousus, une boucle de métal gravé, l’utilisation du satin de soie, de la mousseline ou du velours, transforme les mannequins en icônes queer indéfinissables, séparées de toute idée de genre. Palomo Spain parvient à révéler celui·elle qui le porte, transforme le vêtement en outil de pouvoir qui transcende les genres, les époques et les influences.


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