Le contribuable, déclinaison chiffrée du citoyen, est, selon la définition établie, celui ou celle qui est assujetti à l’impôt, c’est-à-dire dont le revenu est considéré comme assez haut par l’État pour l’amener à apporter sa part au bien commun, autrement dit à contribuer.
Toutefois, au travers du discours des médias et des partis politiques plus conservateurs, le terme contribuable subit une déformation, un renversement de sa signification. Initialement issu du terme contribuer, synonyme en quelque sorte d’aider, le contribuable devient cette figure mythique de celui que l’on exploite, du citron que l’on presse pour en faire sortir le jus savoureux jusqu’à la dernière goutte. Ainsi peut-on voir les journaux titrer « Ce projet a coûté 8 millions aux contribuables. » ou entendre des politiciens scander « Les contribuables en ont assez de payer ! ».
De celui-qui-aide-le-bien-commun, le contribuable se transpose en celui-qui-veut-aider-le-moins-possible. Il devient ainsi un contribuable malgré lui, né contre son gré au sein d’une société à qui il n’a rien demandé. Celui ne souhaite qu’à s’occuper de son condo et de sa voiture.
Ainsi, en réaction à l’épanouissement de l’écosystème de ceux-qui-veulent-aider-le-moins-possible poussent les bureaux de comptabilité et les « experts en impôts », promettant toujours « le meilleur retour possible », puisque qu’il serait scandaleux de laisser partir ne serait-ce qu’un dollar de trop. Tout est entrepris pour réduire au minimum sa contribution. Dans une logique similaire, certains optent pour placer leurs avoirs dans ce qu’on nomme les « paradis fiscaux », leur argent bien loti au soleil et bien à l’abri des regards indiscrets de l’État. Cette logique d’épargne est poussée si loin que même le don de charité, forme d’aide que l’on pourrait imaginer comme étant innocente, est instrumentalisé pour réduire sa charge de contribution sous forme de « crédit d’impôt » et, d’une pierre deux coups, permet au petit-bourgeois d’épargner tout en s’achetant une belle conscience morale. Le mythe du contribuable fait finalement oublier le rôle de l’État en évacuant subtilement cette question du discours, l’État ne pouvant finalement être autre chose que l’ennemi des contribuables.
Le contribuable en veut pour son argent ; il veut plus de services en payant moins, voire en ne payant pas du tout. Il va sans dire que l’appellation clientèle lui sied donc parfaitement. L’État des contribuables n’est donc rien de plus qu’une entreprise cherchant à offrir les meilleurs services à ses clients dont les droits sont définis par le montant qu’ils investissent.
Globalement, la figure du contribuable éclipse celle du citoyen, cet Athénien s’investissant dans les affaires publiques et les enjeux de la cité. Parallèlement à cet éclipsement se produit une opération de réduction, l’individu n’étant non plus décrit en termes sociétaux et sociaux, mais uniquement en termes de colonnes de revenus et de dépenses. Il n’y a plus de classes sociales, mais que des profils socio-économiques. C’est ainsi que cette réduction permet d’éliminer tout un pan de la population ayant de trop faibles revenus pour être qualifié de « contribuable ». Citoyens dans l’État de droit, ils et elles ne le sont plus dans l’État des contribuables. Sous le monde des contribuables, le pouvoir d’achat devient le seul pouvoir social, voire la seule forme de pouvoir qu’un individu peut légitimer espérer acquérir et exercer. L’on vote avec son argent et le contribuable, ce petit-bourgeois, ne vote que pour lui-même. Cependant, ce dernier oublie qu’il n’est, comme le penseur Alain Denault le mentionnait avec justesse, qu’un « prolétaire avec de l’argent » pensant se libérer du joug de l’État pour sauter à pieds joints dans celui du Capital.