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Qu’est-ce qu’un·e affichiste ?

Sur les pas de Roman Cieslewicz, l’essor d’un métier.

ADAGO Paris Photo 2018, MAD Jean Tholance

« Un·e affichiste est une personne qui crée des affiches » m’indique la première réponse Google. Et avec raison. Mais cette évidence linguistique ne saurait nous éclairer ni sur son rôle, ni sa formation, ni les limites et la liberté de sa fonction. Et tout d’abord, qu’est-ce qu’une affiche ? Roman Cieslewicz (1930–1996), graphiste et affichiste polonais, s’amuse de la définition du Larousse : « Une feuille imprimée, souvent illustrée, qui porte un avis publicitaire, etc. » Selon lui, c’est dans le « etc. » de la définition qu’il trouve sa place. Car Cieslewicz lui-même ne sait pas bien en quoi consiste le métier d’affichiste : dépassant le caractère commercialisateur et politique de l’affiche, il explore jusqu’à l’épuisement les capacités de l’image et de sa fonction, offrant une abondante quantité d’objets à notre étude.

L’affiche comme arme de résistance

Diplômé des Beaux-Arts de Cracovie, Cieslewicz devient rapidement un acteur majeur de la scène graphique polonaise. Lorsqu’en 1963, il s’exile en France pour « confronter son oeuvre aux néons de l’Occident », il bouscule les codes esthétiques de la tradition française de l’affiche, héritée de Chéret et Toulouse-Lautrec, et lui donne un nouveau souffle : celui de l’engagement.

Son oeuvre, à laquelle le musée des Arts Décoratifs de Paris rend aujourd’hui hommage, est d’un éclectisme sans limites. Affiches pour le cinéma, le théâtre, les expositions du Centre Pompidou, couvertures de livre, de journaux, mises en pages de Vogue ou Elle ; il navigue dans l’océan graphique de la seconde moitié du XXème siècle. Mais par un dialogue perpétuel entre ses références artistiques (Dada, Avant-Garde russe, Bruno Schultz), ses préoccupations essentielles (l’actualité politique, la guerre, la tyrannie), et ses compagnons de création (Roland Topor, Raymond Depardon), son oeuvre devient rapidement la figure de l’engagement par le graphisme, dont témoignent ses projets et sa participation critique dans la presse. Entre autre, par la revue Kamikaze, dont la puissance évocatrice des images suffit à critiquer et remettre en question les sujets les plus controversés de l’actualité.

a chirurgie de l’image

Son mode de création, quant à lui, est aussi fascinant qu’édifiant. Chaque jour, il épluche la presse internationale, trie, découpe, classe son butin dans plus de 350 boîtes à thèmes différents. Puis, en remaniant les informations et les symboles visuels de ses trouvailles, il les cisaille, les assemble, afin de leur donner une nouvelle signification, celle de son propre regard sur le monde, critique et acéré. Sa méthode presque scientifique lui vaut le qualificatif de « chirurgien de l’image ».

La gifle visuelle

Cieslewicz considère que l’affiche a pour mission d’instruire, autant esthétiquement qu’intellectuellement. Il reprend ainsi les symboles les plus forts de l’actualité de son époque et de la tradition culturelle occidentale : Mona Lisa, le Che, la croix gammée ;  amplifiant, détournant et ravageant leur sens. Sa parole à lui, ce sont ses images, qui dérangent et fascinent autant qu’elles nous réveillent, nous assurant « l’hygiène de la vision » qu’il vise à prodiguer. 

Révélant la puissance de l’impact visuel des images, et dévoilant au grand jour la manipulation que nous subissons quotidiennement dans la presse et les images publicitaires, Roman Cieslewicz propose une définition du métier de l’affichiste qui va bien au-delà d’un rôle commercialisateur : l’art de la chimie, directe et explosive, entre message et outils visuels. Il ne tient qu’à nous d’en faire bonne utilisation.


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