Afin de répondre à un ensemble de questions sur les actions mcgilloises pour l’environnement, Le Délit a interrogé des acteurs de trois positions différentes. George McCourt et Jennifer Gobby sont tous deux à la Faculté d’environnement de McGill. Il y est professeur depuis plus de vingt ans, elle est chercheuse assistante à l’enseignement. Maxime Lakat et Loïc Eloy sont co-présidents du Desautels Sustainability Network, association étudiante qui promeut le secteur privé comme acteur clé et bénéficiaire du développement durable.
Les propos délivrés ont été traduits et remaniés pour la lisibilité de l’article.
Le Délit (LD) : Quelles ont été les actions environnementales les plus importantes de McGill que vous ayez connues ?
George McCourt (GM) : Il y a deux projets récents qui montrent le fort engagement de l’Université. Le premier est Vision 2020, un mandat lancé et signé en 2014, avec pour but de faire de McGill une institution écologiquement responsable et durable, tant sur par rapport à ses actions que sur l’éducation qui y est donnée. Les principaux axes d’amélioration touchent à l’efficacité énergétique de l’Université, les méthodes de recherche en laboratoire (notamment la gestion des déchets chimiques ou la consommation d’eau), l’enseignement des problèmes environnementaux à travers tous les programmes„ et enfin le lien entre les actions de chacun et les communautés locales. Le deuxième projet est le Sustainability Project Fund (SPF), lancé en 2010. C’est un fond annuel de 870 000 dollars qui a déjà fait naître plusieurs centaines de projets liés au développement durable sur le campus.
Maxime Lakat (ML) et Loïc Eloy (LE) : Depuis la rentrée, nous avons organisé un séminaire sur la finance durable avec des leaders du secteur privé, ce qui a permis de véritablement légitimer notre cause et de convaincre les étudiants de finance qu’il y a une opportunité pour eux dans ce domaine (7 trilliards de dollars en 2016 selon la US ISF Foundation, SRI basics, ndlr). C’est important, car ils ne sont presque jamais confrontés aux concepts de l’investissement responsable dans le contexte académique. Nous avons aussi invité tous les membres exécutifs des initiatives étudiantes dédiés au développement durable à se rencontrer lors d’un « Exec Mixer ». Cela nous a permis d’entamer la décontraction des silos entre les facultés de McGill, nécessaire à la collaboration d’approches complémentaires qui nous feront avancer…
La décontraction des silos entre les facultés de McGill [est] nécessaire à la collaboration d’approches complémentaires qui nous feront avancer…
LD : Concernant l’environnement, quels sont les plus gros projets actuellement en débat ou en cours d’acheminement ? En terme d’environnement, quelles seraient les priorités de McGill pour les trois prochaines années ?
Tant que McGill continuera d’être une source du problème, toutes les actions en faveur du climat et du développement durable ne seront qu’un pansement sur une plaie que l’on aggrave continue d’aggraver avec au couteau.
ML et LE : La McGill Sustainability Systems Initiative (MSSI) est une initiative pour le corpus académique de McGill, car elle permet la collaboration entre les différentes facultés et leurs professeurs sur des objectifs et projets communs. Il faut désormais également commencer davantage d’initiatives invitant les étudiants de tous les bords.
Jennifer Gobby (JG) : La première chose à faire pour initier le changement est d’arrêter d’être la cause du problème environnemental. En continuant à investir dans les énergies fossiles, l’institution de McGill continue de soutenir les industries qui causent activement le dérèglement climatique. C’est la première étape et ensuite, McGill pourra entamer la mise en œuvre de solutions. Tant que McGill continuera d’être une source du problème, toutes les actions en faveur du climat et du développement durable ne seront qu’un pansement sur une plaie que l’on continue d’aggraver au couteau. Si McGill veut être une cheffe de file en opposition au dinosaure qu’elle est actuellement, elle doit initier la discussion sur la durabilité, la réconciliation et l’action climatique. Cela signifie le retrait total de ses investissements dans les énergies fossiles. Il en va de même pour le respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’écoute du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il faut arrêter les investissements dans les énergies fossiles, investir dans les énergies propres et encourager les autres grandes institutions à faire de même.
GM : La majorité des initiatives viennent d’étudiants de toutes les facultés et sont souvent en partenariat avec les administrations de l’université. Par exemple, le « Jardin de Mac » a décollé grâce au SPF, et il est maintenant autonome, car il vend ses fruits et légumes au McGill Food Dining Services. Le plus important maintenant est de changer nos attitudes en tant que consommateurs. Par exemple, le nombre de trajets en avion effectués par les professeurs et les étudiants des cycles supérieurs (grad students) pour se rendre à des conférences est énorme et gravement nocif pour la planète, alors qu’il suffirait de s’habituer à faire des visio-conférences. Par ailleurs, certains acteurs commencent à se connecter avec les communautés autochtones de la région. Le dialogue culturel peut être très intéressant car nous avons beaucoup à apprendre de la façon dont les populations premières étaient et sont toujours liées à la nature.
LD : À long terme, envisagez-vous McGill sans impact négatif sur l’environnement, mais plutôt positif ?
JG : Oui, je peux l’imaginer. Pour cela, il faudrait que l’institution reconnaisse que les motivations nées du capitalisme reposent sur la dépendance à la croissance économique, ce qui fait d’elles la racine des problèmes environnementaux. Il faut ensuite soutenir activement les projets visant à amener des alternatives viables, à toutes les échelles. Enfin, on doit arrêter l’enseignement d’une économie et d’une ingénierie qui renforcent le statut quo destructeur. Beaucoup d’universités dans le monde sont bien plus innovantes que McGill sur ce terrain-là, il est temps de se rattraper.
GM : Oui ! Je suis plutôt optimiste, nous sommes déjà activement en train de réduire notre impact. Pour avoir un impact positif, il faudrait changer les attitudes de consommation des gens.
LD : Pensez-vous que les associations et projets en cours sont suffisants, en attendez-vous plus des étudiants et de l’administration ?
la bureaucratie rend les prises de décisions très longues et complexes
ML et LE : Nous attendons une ouverture d’esprit de la part des étudiants de manière à créer un environnement qui incite la collaboration. Les stéréotypes sur les facultés et les visions sociétales de leurs étudiants doivent être combattus de manière à créer une génération apte à élaborer un plan stratégique ensemble contre le dérèglement climatique.
GM : Je n’ai pas besoin d’en attendre plus de mes étudiants, leurs projets sont nombreux et fantastiques. Regardez le SPF, c’est un étudiant de premier cycle, un undergrad student, qui a réussi à le mettre en place en seulement trois ans. Quant à l’administration, c’est la tragédie des grosses institutions. Les gouverneurs ne sont pas des vieilles têtes de mules, mais la bureaucratie rend les prises de décisions très longues et complexes.
LD : Comment augmenter l’engagement des étudiants ?
GM : Les organismes doivent repenser leur système de communication pour être plus visibles. La plupart du temps, ils font de très beaux sites avec toutes les informations, et pensent que tout le monde va les voir. Il faut sortir de ces habitudes et aller à la rencontre des étudiants. Avec l’abondance d’informations que nous recevons tous les jours, même les courriels ne suffisent pas.
Les organismes doivent repenser leur système de communication pour être plus visibles.
LD : Pour les étudiants qui souhaitent s’engager, quelles sont les possibilités ?
ML et LE : Pour commencer, on conseille à tous de lire un court papier de cinq pages intitulé « A Worldly Strategy for the Global Climate » écrit par des professeurs de McGill (H. Mintzberg, S. Mantere et D. Etzion). Il porte sur les moyens que chaque secteur de la société peut apporter contre le changement climatique.
GM : Les opportunités sont nombreuses, que chacun s’engage là où sa passion et son énergie se trouvent.
Ce qu’on en retient :
Les initiatives en faveur de l’environnement prolifèrent sur le campus, mais elles sont trop peu visibles à cause d’un manque de communication efficace. En raison de la trop grande affluence d’informations, les sites Internet et les listervs ne marchent pas.
L’enseignement de l’écologie doit se faire à travers tous les programmes et tous les cours, la vision environnementale doit être intégrée pour repenser tous les domaines académiques. La collaboration entre les facultés permet une complémentarité des approches nécessaires à l’action.
Les changements les plus importants doivent être réalisés en profondeur, par exemple par la promotion de la décroissance.