Justin Trudeau a fait de l’imposition d’une taxe sur le carbone dans les provinces la pierre angulaire de ses politiques en matière d’environnement. Or, avec la disparition de ses appuis de gauche parmi les gouvernements provinciaux, il sera désormais très difficile pour lui de réaliser cette promesse sans perdre quelques plumes.
Le marché du carbone
En 2013, suivant les recommandations du protocole de Kyoto et s’inspirant du système établi depuis sept ans dans l’Union Européenne, le gouvernement de Pauline Marois avait mis en place une bourse du carbone à l’échelle de la province. Dans ce système, le gouvernement vendait chaque année un prix fixe de droits d’émissions de carbones, que les entreprises pouvaient ensuite s’échanger entre elles au prix qui leur convenait. L’idée était de rendre coûteuse l’émission de gaz à effet de serre (GES) par les entreprises, afin de les pousser à modifier leur manière de produire pour faire des économies. De plus, les sommes récoltées lors de la vente initiale devaient aller directement au Fonds vert, destiné à financer le développement durable au Québec. Un an plus tard, en 2014, le ministre des Relations internationales d’alors, un certain Jean-François Lisée, signait une entente avec la Californie pour joindre leurs deux marchés respectifs et créer la Western Climate Initiative, coordonnant le plus grand marché du carbone en Amérique du Nord. Le marché s’est encore agrandi début 2018 avec l’addition de l’Ontario, province alors dirigée par les libéraux de Kathleen Wynne.
Entre deux chaises
En 2015, Justin Trudeau, dont l’image d’environnementaliste commençait à se ternir à cause de son support passif au projet de pipeline Énergie Est, avait décidé de frapper un grand coup en forçant les provinces qui ne l’avaient pas déjà fait, à se doter d’un système de tarification des émissions de carbone. De plus, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait imposer un prix minimum pour la tonne de CO2, qui monterait progressivement jusqu’à 50$ la tonne en 2022. Si une province n’acceptait pas de se soumettre à la taxe, le fédéral la percevrait directement. Déjà, à l’époque, trois provinces, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, avaient fermement affirmé leur désaccord, dénonçant sur la scène publique des coûts pour les familles de 1250$ en moyenne.
Deux ans plus tard, tout semble aller de mal en pis pour Justin Trudeau. À la suite de plusieurs élections provinciales, les relations de son gouvernement avec les provinces se sont beaucoup dégradées. Une fronde s’est organisée contre le projet de taxe de Justin Trudeau, d’abord porté par l’ancien premier ministre très conservateur de la Saskatchewan Brad Wall et maintenant par Doug Ford. L’Ontario s’est ainsi retiré du marché commun avec le Québec, forçant Justin Trudeau à respecter sa promesse en imposant lui-même une taxe aux Ontariens, et ce à un an d’élections fédérales. La plus grosse province canadienne, en termes démographique et économique, a aussi annoncé qu’elle rejoindrait la Saskatchewan dans une poursuite contre le gouvernement fédéral, poursuite qui risque de fortement encourager les mouvements de droite du pays. Devant la tempête, Justin Trudeau a déjà annoncé qu’il accepterait de baisser les prix minimums sur la tonne de carbone. Le chef libéral est dans une position extrêmement délicate, puisque trop reculer sur la taxe du carbone aggraverait encore plus son bilan environnemental, déjà empoisonné par son support obstiné au pipeline Trans Mountain. De quoi donner des munitions au progressistes du Nouveau parti démocratique (NPD) lors des prochaines élections à venir.
Pour le moment, à l’instar des gouvernements de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, François Legault a donné son appui au projet de taxes de Justin Trudeau lors du sommet de la francophonie à Erevan. Toutefois, il faudra voir si cet appui à la taxe carbone résistera aux seuils voulus par Trudeau plus hauts que ceux en vigueur au Québec et surtout aux relations potentiellement orageuses entre les deux chefs de gouvernement.