Adaptation de Jacques le fataliste et son maître, un roman de Denis Diderot, le dernier film d’Emanuel Mouret nous introduit parmi l’aristocratie libertine parisienne de l’époque victorienne. L’intrigue n’est pas sans rappeler les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos : Madame de la Pommeraye, jeune et orgueilleuse veuve, cède au jeu de séduction du duc des Arcis, réputé libertin. Mais les années ont raison des honnêtes sentiments que celui-ci prétend avoir, et il finit par se lasser d’elle comme des précédentes. Blessée, elle entreprend de l’humilier afin de se venger et parvient ainsi à lui faire épouser la jeune Mlle de Joncquières, qu’un revers de fortune a plongé dans la honte de la prostitution.
Un pari ambitieux
Un film d’époque, comme nous le rappelle Emmanuel Mouret dans l’entretien après le visionnage, est un pari ambitieux. Le décor, le langage, la structure sociale de l’époque : pour être crédible, c’est tout l’univers qui demande à être reconstitué. Le pari est ici réussi. Robes baleinées, rubans, catogans et autres coquetteries : la scénographie est précise, se rapprochant d’une version française de Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Les acteurs et actrices évoluent dedans avec un naturel déconcertant, se pliant admirablement aux règles de la grammaire raffinée comme à l’étau des corsets. La déclamation des textes par Cécile de France (Madame de la Pommeraye) et Édouard Baer (le duc des Arcis) est bluffante, sublimant un texte déjà riche en subtilités. Se revendiquant « film de conversation », Mademoiselle de Joncquières est assurément un bel hommage à la langue française.
Toutefois, les personnages ne parviennent pas toujours à nous faire voyager dans le temps. Édouard Baer, aussi iconique et charismatique soit-il, nous offre une légèreté à double tranchant : ses traits d’humour et ses airs faussement contrits amusent mais nous extraient parfois de l’univers victorien, car il est difficile de le prendre au sérieux. Quant à l’intrigue, elle se conforme à la réalité de l’époque et celle de Diderot, mais ne saurait pas toujours retenir l’attention d’un·e spectateur·rice contemporain·e. L’agréable contemplation des tirades et des plans ne compense pas toujours la prévisibilité de l’intrigue, la lenteur de l’action, ou encore le manque de dynamisme général.
Une symbolique incertaine
Le film soulève de nombreuses interrogations, mais sans véritablement y répondre. Prenons l’exemple du féminisme : Emmanuel Mouret brosse le portrait de quatre femmes d’un fort caractère, qui cherchent à se faire une place dans le monde sexiste soumis à l’oppression patriarcale de l’époque. Mais celui qui ultimement porte la couronne, c’est bien le duc des Arcis, qui accepte de garder pour femme la jeune prostituée malgré les moqueries de l’aristocratie parisienne. Cette ambiguïté est toutefois excusée. Dans l’épisode de questions qui suivit le visionnage, le réalisateur déclare se plier à la célèbre formule d’Hitchcock : « si vous voulez vous exprimer, prenez un haut-parleur ». Pour lui, le film n’est pas le moyen de véhiculer des messages clairs et sans équivoque. C’est au contraire le lieu où l’on peut douter, soulever des questions sans en fournir les réponses. C’est une catharsis inaccomplie, qui se prête à de multiples interprétations. Et ce film est encore ouvert à la vôtre.