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Ici et maintenant avec Bachelard

Préfèrons voir notre existence dans l’instant plutôt que dans la durée.

Hugo Gentil

Le monde tel que conçu par l’Homme est régi par deux instances inébranlables : l’espace et le temps. Alors que la première va de soi dans la compréhension que nous en avons, la seconde est plus volatile. Par exemple, il y a des conceptions du temps assez conventionnelles, ayant recours à des unités. Ces dernières se basent toutes sur un temps linéaire et spatialisé. Bachelard suggère autre chose, une conception découlant du moment présent. Il est donc ici question de comprendre en quoi l’instant rend le temps intéressant selon ce philosophe. 

Poser les bases 

Dès les premières lignes de son essai intitulé L’Intuition de l’instant, Bachelard livre la thèse selon laquelle « le temps est une réalité resserrée sur l’instant suspendue entre deux néants ». Autrement dit, tout ce qui est réel existe dans l’instant présent. Autour, il n’y a rien de concret. Le passé n’est plus, et le futur n’est pas encore. 

Bachelard démontre cette idée en opposant deux thèses.  D’abord celle de Bergson, qui, lui, prône la continuité : « entre le passé et l’avenir on suit une évolution qui dans son succès général paraît continue ». Il s’agit du concept bergsonien de la « durée ». Ensuite, celle de son ami Roupnel, pour qui « c’est l’instant qui en se renouvelant reporte l’être à la liberté ou à la chance initiale du devenir ». C’est dans l’instant que l’on fait les choix qui nous définissent. Où est-ce que l’instant nous mènera ? On n’en sait rien. L’idée est ici de montrer qu’il n’y a que de l’instant présent dont on peut être certains. 

Le temps ne dure qu’en inventant

C’est ainsi que le temps peut devenir intéressant. On n’est certain que de ce que l’on vit présentement. Actuellement, je suis en train d’écrire un article, c’est certain. Mais qu’est-ce qui me dit que ça sera toujours le cas dans dix minutes, une heure, ou demain ? « Le temps réel n’existe que dans l’instant isolé », le reste demeure incertain et complètement ouvert. Il est même impossible de prévoir ce qui arrivera ensuite, alors que ce qui vient de se passer n’existe déjà plus.

Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de fil conducteur. « Le passé laisse une trace dans la matière, il met donc un reflet dans le présent, il est donc toujours matériellement vivant ». En d’autres termes, l’instant ne pourrait exister sans ce qui est arrivé juste avant. Le présent dépend des actions d’avant. Si je n’avais pas écrit le paragraphe précédent avant de rédiger celui-ci, qui me dit que le propos tenu sera identique ? Cela revient à nous rappeler que bien que constitués d’un passé, tout ce qui existe pour nous est « présent ». Qu’est-ce à dire de notre rapport au monde ? Probablement qu’il est possible de l’envisager plus sereinement, de voir dans chacun de nos « instants » le signe d’une nouveauté sans cesse renouvelée. Peut-être est-ce par-là que passe notre capacité à sans cesse nous étonner, et de là la fontaine du bonheur face au quotidien.

Par ailleurs, cette interdépendance entre l’instant et ce qui le précède est aussi liée au progrès. L’amélioration va de pair avec l’avancement dans le temps, ou selon les propos tenus par Bachelard, « ne disons pas que l’acte est permanent : il est sans cesse accru de la précision de ses origines et de ses effets ». Chaque instant qui passe constitue un enrichissement pour celui qui le précède et ce procédé se retrouve dans les simples habitudes. À travers le progrès, nous nous rendons compte qu’il y a un avancement, car les instants ne sont pas identiques. C’est ainsi que le temps s’écoule. Chaque instant est unique, et c’est également en cela que le temps est intéressant. L’« instant » de Bachelard est un outil pour mieux habiter le temps.

Suggestions de Bachelard :

Le Nouvel Esprit scientifique (1934)

La Psychanalyse du feu (1938)

La Flamme d’une chandelle (1961)


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