Les dernières décennies ont été caractérisées par une augmentation des violences policières signalées par les médias nord-américains. Bien qu’elles puissent être attribuées à des relations conflictuelles entre la police et le reste de la communauté, elles sont en réalité symptomatiques « d’un système plus large de crime et punition, qui a provoqué l’incarcération massive de personnes pauvres et membres de minorités ». Pour aborder la question de la violence policière, il est nécessaire de prendre en compte les facteurs sociaux qui engendrent des comportements violents. Cette tâche compliquée et controversée ne nous semble pas pour autant impossible, à condition que l’on dépasse ensemble les tabous dans lesquels nous nous complaisons, qui nous protègent en nous incitant à rejeter la faute de cette violence sur un ennemi malveillant, plutôt qu’un système défaillant.
Pour aborder le problème de la violence policière à Montréal, il nous incombe de reconnaître les abus de pouvoir flagrants de la police dans des situations de crise, de proposer des alternatives à la police seule pour le maintien de l’ordre et la sécurité, de remettre en cause le monopole de l’usage légitime de la force que la police détient. Enfin, nous nous devons de prendre en considération les relations entre les minorités et les officier·ère·s de police qui les rendent plus susceptibles d’être sujettes à la violence que les autres. Cette analyse doit se fonder sur un questionnement des systèmes traditionnels de crime et de punition, des monopoles de l’usage de la violence, et des théories du Contrat Social, tout en les comprenant à l’aune du système capitaliste nord-américain actuel.
Le Code de déontologie des policiers du Québec stipule qu’un·e officier·ère de police ne doit pas “(4°) poser des actes ou tenir des propos injurieux fondés sur la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion, les convictions politiques, la langue, l’âge, la condition sociale, l’état civil, la grossesse, l’origine ethnique ou nationale, le handicap d’une personne ou l’utilisation d’un moyen pour pallier cet handicap ; (5°) manquer de respect ou de politesse à l’égard d’une personne”. Le partage actuel des pouvoirs donne à l’État et notamment à la police le monopole de l’usage de la violence physique et le pouvoir de déterminer la légitimité de son utilisation. Une confiance aveugle est faite à la subjectivité de chaque officier·ère de police, le·la laissant en tout temps le·la seul·e juge des situations dans lesquels il·elle est impliqué·e. Du fait du monopole de l’usage légitime de la force, nonobstant les restrictions du Code de déontologie énoncés plus haut, les préjugés des policier·ère·s guident leurs décisions, et peuvent par-là différencier celui·celle qui sera tué·e de celui·celle qui ne le sera pas.
Le décalage entre le Code de déontologie et les actions individuelles des officier·ère·s de police tient de l’impossibilité pour eux·elles d’agir avec justice, de faire preuve d’objectivité en résistant aux préjugés, aux discriminations, et aux tentations de vendetta et d’abus de pouvoir. À Montréal, encore trop de personnes de couleurs et en situation de handicap sont tuées et violentées injustement chaque année par les forces de police. Nicholas Gibbs, Pierre Coriolan, Farshad Mohammadi, Joséphine Papatie, Joyce Thomas, et tant d’autres. Pour remettre en cause la légitimité de l’usage de la violence par la police canadienne, il est nécessaire de prendre en considération ces innombrables incidents. Cette reconnaissance doit s’accompagner du refus de voir ces événements comme des cas isolés plutôt que le reflet d’une épidémie sociétale généralisée.
Les violences policières racistes et classistes envers les minorités visibles nous apparaissent comme la marque du rejet de ce qui ne correspond aux idéaux de société des policier·ère·s concerné·e·s. Si les membres des minorités visibles et économiques sont si menacés, les préjugés auxquels ils·elles sont associé·e·s sont sans doute en cause. Perçus comme des êtres violents, dangereux, incontrôlables, etc, leur existence apparaît aux yeux des forces de l’ordre comme une menace directe au bon fonctionnement de la société capitaliste. En ce sens, il nous semble important de souligner que les actes de dissidence – ou vus comme tels – par rapport aux normes morales oppressives maintenues par l’action de l’État sont souvent violemment réprimés par la police qui agit ainsi comme une « police des bonnes moeurs ». La répression violente des manifestations étudiantes, comme lors du Printemps Érable de 2012, et des pratiques perçues comme déviant de l’ordre moral traditionnel comme le cruising (“This is No Longer a Safe Place”, The McGill Daily) exemplifie ce phénomène.
Il est temps de se défaire de l’idéal de la police protectrice et voir d’un œil critique l’usage de la force des corps de police. En tant que journalistes, nous devons nous assurer que justice soit faite autour de la violence que la police exerce, et montrer comment cette violence s’est construite autour de marqueurs sociaux racistes, validistes, classistes… En tant que citoyen·ne·s, nous devons nous battre aux côtés de celles et ceux que cette violence affecte de façon disproportionnée et injuste. Nous devons et avons besoin de chercher d’autres manières de garantir à chacun sa sécurité que l’appel à la police seule afin d’interrompre le cycle de violence.
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