La nouvelle péripétie du casse-tête fédéraliste se présente sous la forme d’une menace provenant de la politique linguistique du gouvernement de Doug Ford en Ontario. Dans le cadre de compressions budgétaires ayant pour objectif la diminution du déficit provincial, le gouvernement conservateur ontarien a fait des coupures aux services offerts en français. La mise à jour fiscale du 15 novembre dernier a annoncé la suppression du poste indépendant de commissaire aux services en français de l’Ontario : un rôle impératif à l’assurance de la qualité des services en français accessibles aux plus de 600 000 Franco-Ontariens.
La personne désignée comme commissaire est de fait un porte-parole indépendant de la communauté francophone auprès du gouvernement provincial grâce à ses analyses et ses recommandations annuelles. De plus, le gouvernement Ford a annoncé l’annulation du projet d’une université de langue française à Toronto ou dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Un projet marquant qui démontrait un immense pas en avant vers l’accession aux services en français en Ontario.
Une décision critiquée
Cette politique linguistique s’est fait condamner sur-le-champ, la justification s’étant fait entièrement rejeter par l’ex-commissaire lui-même. En effet, dans une entrevue avec Radio-Canada datant du 19 novembre 2018, François Boileau affirme son incompréhension face à la décision prise par le gouvernement d’annuler le caractère indépendant de son poste, passé sous la juridiction de l’ombudsman de la province. Il estime que les coupures vont épargner au gouvernement 300 000 dollars, en comptant son salaire, puisque ses employés seront sous l’égide de l’ombudsman. Évidemment, ce sont des chiffres minuscules en comparaison à l’ampleur du budget de la province de l’Ontario qui approche les 150 milliards de dollars par an.
Selon Marie Drolet, doctoresse à l’Université d’Ottawa et chercheuse dans le domaine de l’accès aux services en français en contexte minoritaire, le commissaire joue un rôle primordial à la survie franco-ontarienne : « Le commissaire aux services en français, François Boileau, est celui qui s’assure que la Loi sur les services en français de 1986 est bien appliquée, en recevant des plaintes, assurant des suivis et déposant des rapports annuels analysant des enjeux particuliers au sein de la francophonie ontarienne ». Son analyse met l’accent sur l’ampleur du choix politique de Ford : la décision de novembre dernier créera un immense vide au sein de l’administration publique en Ontario.
Depuis l’annonce des coupures en novembre et les condamnations qui ont suivi, un recul s’est opéré. La province a annoncé la fusion du Commissariat aux services en français et du bureau de l’ombudsman – un bureau indépendant qui enquête sur toutes les formes de plaintes des citoyens face aux violations de leurs divers droits civils. D’après Boileau, son rôle de commissaire est différent de celui de l’ombudsman. Son mandat va beaucoup plus loin : il doit faire la promotion et la défense du français en Ontario.
En réalité, les décisions du gouvernement de Ford démontrent un manque de compréhension de la situation canadienne-française. Les priorités budgétaires de Ford présentent un obstacle majeur à l’accommodation efficace des services essentiels offerts en français à la minorité linguistique provinciale. De plus, les ajustements insuffisants du gouvernement Ford, comme le refus le 14 janvier dernier de tenir compte des 1,9 million de dollars du gouvernement fédéral nécessaires au maintien du projet de l’Université de l’Ontario français, démontrent le manque de respect du gouvernement ontarien envers la communauté franco-ontarienne.
Résistance francophone
Face à la nouvelle péripétie de la lutte canadienne-française pour des droits et des services d’accommodation minoritaire suffisants, la résilience de la nation francophone est flagrante. La mobilisation de la communauté francophone démontre la profondeur de l’injustice. Selon la doctoresse Drolet, l’enjeu transcende les frontières provinciales et est devenu un point commun dans la lutte pour le respect des droits francophones au Canada.
Face à la nouvelle péripétie de la lutte canadienne-française pour des droits […] suffisants, la résilience de la nation francophone est flagrante
Doctoresse Drolet, gestionnaire de projets au Centre psychosocial à Ottawa, démontre l’ampleur de la situation en soulignant la situation actuelle dans les services de santé mentale : « Selon Gagnon-Arpin et al (2014), la majorité des francophones en situation minoritaire préfèrent avoir des services en français. Cependant, seulement 40% des Franco-Ontariens reçoivent leurs services sociaux, de santé et de santé mentale en français. Pire encore, deux francophones sur trois (67%) en Alberta ne reçoivent pas de services dans leur langue, presque trois francophones sur quatre (72 %) en Saskatchewan et quatre sur cinq (78 %) à Terre-Neuve et Labrador.
La communauté franco-ontarienne s’est mobilisée et fut nombreuse le 1er décembre dernier dans les villes de la province. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), porte-parole de la résistance francophone, a annoncé que « 14 326 personnes sont sorties, partout en province, pour s’opposer à l’injustice des coupures annoncées par le gouvernement provincial visant la suppression de l’Université de l’Ontario français et du Commissariat aux services en français. Il y a même eu neuf manifestations de solidarité aux Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes dans les autres provinces canadiennes. » Ces diverses manifestations de solidarité ont même eu des échos sur la scène internationale. Peu importe la province de résidence, les Canadiens-français et les Canadiens-anglais francophiles se sont unis autour de la cause de condamnation de la discrimination envers les minorités linguistiques de langues officielles canadiennes. Ceci démontre la solidarité profonde parmi les différents groupes canadiens-français, mais surtout l’union fédérale au sein de la politique canadienne. La mobilisation et la solidarité entre les groupes démontrent véritablement que la réconciliation est la colonne vertébrale du fédéralisme canadien.
La place fragile du français
D’un point de vue historique, la nation minoritaire canadienne-française a été dominée par la majorité anglophone depuis 1759. Il est évident que le français est une langue menacée au Canada, et doit ainsi être protégé par des mécanismes législatifs, comme la Loi sur les langues officielles de 1969. Un gouvernement fédéral – étant donné la multitude de contextes rendant une trop grande centralisation difficile et inopportune – est généralement reconnu comme le système idéal pour gouverner un territoire vaste et diversifié. Une structure constitutionnelle, comme celle du Canada, qui divise les pouvoirs entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires sous-nationaux se place comme un point de réconciliation. Les défauts d’un tel système de gouvernance semblent se répéter, les intérêts provinciaux variés et divergents se présentant comme un obstacle à l’harmonie nationale. Ainsi, le cas canadien se présente comme un point d’analyse idéal de tous ces espoirs, enjeux et défis.
La population canadienne-française est majoritairement située au Québec, bien que la population francophone du Canada s’étende en dehors des frontières québécoises. La concentration de la majorité des francophones est au Québec, où le français est la langue officielle, et la plupart des minorités francophones se situent en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Ceci ajoute une complexité à la gouvernance canadienne. Dans le fond, le résultat est une asymétrie des politiques aux niveaux fédéral et provincial. La nation minoritaire canadienne-française (hors Québec) se voit accorder des droits particuliers, notamment grâce à la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, en guise de préservation d’une identité qui se distingue de la majorité anglophone. Le résultat est que la menace d’assimilation, et donc d’extinction du français, a créé une résilience particulière parmi les francophones en contexte minoritaire au Canada.