Dans « La pilule contraceptive, un cadeau empoisonné ? » (p 8–9), Juliane Chartrand énumère les effets secondaires parfois mortels de la pilule contraceptive. Elle dénonce le silence qui plane autour de ces effets : la prise de la pilule est vue comme un réflexe logique pour toute femme ayant des rapports hétérosexuels pour se prémunir contre le risque d’une grossesse non désirée. L’autrice met en lumière l’histoire de cette méthode contraceptive, montrant qu’elle émane notamment de volontés eugénistes. La pilule était au départ vue par certain·e·s comme « un moyen de limiter les naissances de certaines minorités ethniques ». Par ailleurs, la prise de la pilule contraceptive est profondément dommageable pour l’environnement, menant à la diffusion dangereuse d’hormones dans les écosystèmes et affectant la reproduction d’autres animaux non-humains.
Les méthodes contraceptives dans les pays occidentaux comme le Canada sont pourtant bien plus diverses que la doxa nous le laisse croire. Lorsque l’on se renseigne sur les modes de contraception masculine, le contraste avec le panel proposé aux femmes est frappant (p. 9). Les deux solutions préconisées par les médecins sont celles du préservatif, qui n’est pas forcément un réflexe uniquement masculin, et de la vasectomie. Cette dernière ne s’adresse quasiment pas à un public d’hommes jeunes qui ne sont souvent pas en mesure de prendre une décision aussi permanente. Des communautés scientifiques s’intéressent à la question d’une pilule contraceptive masculine. Présentant aussi des effets secondaires chez les hommes ayant participé aux essais cliniques, le contraceptif tarde à être commercialisé. D’autres moyens, comme les injections hormonales, existent et sont reconnus comme efficace par des organismes compétents. Cependant, ces moyens ne connaissent pas la visibilité et le financement dont ils pourraient bénéficier. Un élargissement de l’offre contraceptive masculine semble nécessaire afin que les hommes intègrent le rôle prépondérant qu’ils ont dans leurs relations hétérosexuelles.
Selon les témoignages des membres de la rédaction du Délit ayant fait leur scolarité dans des écoles publiques et privées au Québec et en Nouvelle-Écosse, les cours d’éducation sexuelle dispensés sont lacunaires – voire dogmatiques – en terme de contraception.
On raconte que l’on fait apprendre par cœur aux élèves les pourcentages d’efficacité des différentes méthodes de contraception féminine. Il semble que cette méthode d’apprentissage ne favorise pas la formation d’un regard critique sur les effets, les origines et les enjeux sociétaux entourant les méthodes contraceptives. D’autres racontent aussi que l’abstinence était promue comme la méthode la plus efficace de contraception, laissant planer un doute quant à l’honnêteté intellectuelle des professeur·e·s en question. Aucun·e ne se souvient avoir entendu qu’il existe des méthodes de contraception masculines autres que le préservatif. L’idée que la responsabilité de la contraception ne repose pas uniquement sur les épaules des femmes ne semble pas avoir été envisagée dans les cours reçus par les membres de la rédaction.
En l’absence d’une éducation sexuelle nuancée et informée, il faut se demander si le corps médical québécois remplit sa mission d’information des patient·e·s quant aux avancées médicales. Présente-t-on aux Québécois·e·s l’éventail des méthodes de contraception masculines et féminines existantes ? La sous-représentation du genre féminin dans le monde scientifique et les formations insuffisantes que les médecins reçoivent en matière de contraception sont en ce sens profondément problématiques.
Que la pilule contraceptive féminine soit souvent présentée comme l’unique méthode contraceptive valable – et que les effets secondaires soient souvent passés sous silence ou vus comme un mal nécessaire – nous semble être le symptôme d’un sexisme encore patent. L’idée que seules les femmes doivent prendre la responsabilité de la contraception, avec toutes les contraintes physiques et la charge mentale qu’elle implique, apparaît évidente lorsqu’on lit entre les lignes. Nous estimons urgent que cette pensée évolue et que les options masculines soient systématiquement exposées dès le plus jeune âge et proposées aux hommes ayant des relations sexuelles hétérosexuelles.
Pouvoir contrôler sa fertilité à l’aide de la pilule contraceptive est-elle alors une marque d’autonomie ? Dans cet esprit, Natalie Stoljar, professeure de philosophie à McGill, écrit que l’intuition féministe consiste à remettre en doute l’autonomie des femmes lorsqu’elles prennent des décisions dans un contexte où les normes sociétales sont sexistes et oppressives. Si la pilule contraceptive comporte autant de risques pour la santé et que les autres méthodes masculines ne sont presque jamais connues et financées, pouvons-nous vraiment affirmer que les femmes qui décident de la prendre prennent une décision autonome ?
Arborée comme un symbole de l’émancipation féminine dans de nombreux pays occidentaux comme le Canada, la pilule contraceptive est en fait toujours liée à des dynamiques sociétales profondément sexistes. Plutôt que d’évaluer le « développement » des sociétés non-occidentales à l’aune de l’accès des femmes à la pilule contraceptive dans un esprit néo-colonial, il vaudrait mieux examiner nos propres pratiques afin de tendre vers un modèle sociétal où la responsabilité de la contraception et de la grossesse pourrait progressivement être mieux partagée.