Le réalisateur et scénariste polonais Pawel Pawlikowski, qui nous avait offert le magnifique Ida il y a quelques années déjà, nous présente cette fois une histoire d’amour fiévreuse prenant place dans les années d’après-guerre. Wiktor, pianiste et chef d’orchestre désabusé, ratisse la campagne polonaise dans le but de mettre sur pied un spectacle de danse et de chants folkloriques. Aux auditions se révèle alors Zula, une téméraire et talentueuse jeune femme au passé sombre. Dès lors, une tension s’installe entre ces deux personnages que tout oppose. Ils se poursuivront inlassablement à travers l’Europe dans une cavale qui les poussera inévitablement vers le gouffre.
Du plaisir empreint de malheur
La forme elliptique convient parfaitement à cet amour plein de promesses sincères, mais pourtant intenables dans le contexte enchevêtré de la Guerre froide. Les prises de vue rapprochées, soutenues par le format carré de l’image, permettent aisément de se glisser dans l’intimité d’une relation noircie par la mélancolie et la douleur. L’esthétique sobrement soignée, toute en subtilité, laisse place à la musique qui reste en tout moment sublime . Les changements de plans alternent entre la douceur et le fracas, à l’instar de cette histoire d’amour pour le moins tumultueuse.
D’une grande technicité, le noir et blanc rehausse les contrastes de la bohème des soirées jazz parisiennes tout en peignant habilement la monotonie d’une pauvre ruralité. On comprend sans difficulté pourquoi Cold War a remporté le prix de la mise en scène à Cannes dernièrement, en plus d’être en lice pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Même si cette structure en ellipses nous permet de côtoyer cet amour de plus près, il n’en demeure pas moins que Cold War paraît par moment précipité. Certains détails demeurent flous, certaines scènes frôlent l’invraisemblable alors qu’elles visaient plutôt le grandiose. La simplicité, le dépouillement, insufflent de magnifiques élans de sincérité au film, mais impliquent parfois un certain vide que l’œuvre n’arrive pas toujours à racheter. De surcroît, on ne peut plonger dans la bohème artistique aussi rapidement sans que ne s’en dégagent quelques clichés : une poète aux mœurs évidemment libérales, les soirées arrosées dans de grands appartements pompeux.
Des faiblesses oubliées aisément
La durée du film s’avère un point fort autant qu’une faiblesse ; on évite les longueurs et on soutient un rythme vivant, mais le dénouement est déballé excessivement rapidement dans une succession de scènes nettement moins crédibles que le reste de l’œuvre. Le long-métrage est profondément touchant même si l’on sent parfois qu’il ne plonge pas toujours au cœur des choses, que l’histoire d’amour emphatique met par moment de côté des éléments intéressants. Des pans de la trame narrative demeurent assez pauvrement développés, notamment les personnages secondaires qui ne sont qu’esquissés malgré leur influence sur le déroulement du récit. Ces petits écueils ne sont toutefois pas assez majeurs pour torpiller ce merveilleux film. Cette œuvre visuellement forte s’attaque au sujet maintes fois travaillé qu’est l’amour en le posant dans un cadre historique présenté avec justesse. Un incontournable pour tout cinéphile s’intéressant au cinéma étranger.