Le Congrès des écrivains noirs (Congress of Black Writers en anglais, ndlr) a eu lieu à McGill en 1968 alors que le Québec était en pleine Révolution tranquille. Les différents esprits des communautés noires de Montréal, dont les discours étaient considérés comme radicaux, s’étaient rassemblés pour une durée de quatre jours afin de discuter des diverses conséquences contemporaines de la colonisation. Mercredi soir dernier, l’Institut d’études canadiennes de McGill (MISC), la Table Ronde du Mois de l’Histoire des Noir·e·s et le Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill présentaient l’événement « Écrire pour être libre : La commémoration du congrès des écrivains noirs ». Le MISC a introduit la soirée en rappelant l’importance de cet événement pour l’histoire de la littérature ainsi que pour les Canadien·ne·s noir·e·s.
Des personnes inspirantes
La première partie de l’événement était composée de performances artistiques diverses. L’auditoire a eu droit à des reprises de chansons et même à des créations. Un poème d’une jeune fille prénommée Béatrice était particulièrement touchant. Elle dédiait ses vers à un homme de sa famille ayant des difficultés à percevoir sa propre valeur. « Arrête de porter ce fardeau qui ne t’appartient pas. La colère et le mépris ont été les armes utilisées contre toi et le jour viendra où tes exploits ne seront pas omis dans les livres d’Histoire. » Elle a su montrer le trouble intérieur que peut causer la douleur historique d’un peuple, tout en dénonçant le manque de représentation des personnes noires dans les cours d’Histoire.
La deuxième partie de la soirée s’est organisée autour de la table ronde, avec la sénatrice canadienne Anne Cools, l’écrivain et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier Rodney Saint-Éloi, l’historienne Dorothy Williams et l’autrice-compositrice-interprète Elena Stoodley. La discussion était animée par Pat Dillon-Moore, l’une des porte-paroles pour le Mois de l’Histoire des Noir·e·s. La médiatrice a commencé par mentionner qu’il y avait un parallèle à faire entre les histoires des Autochtones et celle des Noir·e·s. Les histoires de ces deux peuples, colonisés et privés de leur culture respective, partagent une souffrance similaire.
Elle a rappelé l’importance de parler ensemble et d’inclure la jeunesse dans ces discussions. C’est en profitant des jeunes esprits que la conversation est en mesure d’évoluer.
La première panéliste à prendre la parole a été Anne Cools. Ce rassemblement de militant·e·s, il y a 50 ans, la sénatrice l’a vécu. Elle était présente en 1968 alors que ce fameux congrès avait lieu. Elle réalisait alors que quelque chose de plus grand qu’eux·elles était en train d’arriver à ce moment. Elle disait avoir remarqué un grand changement à l’université pour les Noir·e·s autour de l’année 1969. Elle a « remercié ses parents de l’avoir introduite à l’action très importante qu’est la lecture », en soulignant sa croyance que la plupart des relations humaines sont formées grâce à la famille.
La diversité culturelle en édition
Ce fut ensuite au tour de Rodney Saint-Éloi de prendre la parole. L’écrivain haïtien et membre de l’Académie des lettres du Québec a commencé par raconter comment la littérature a fait son entrée dans sa vie. C’est, paradoxalement, sa grand-mère analphabète qui lui a enseigné l’écriture et lui a donné le goût des mots. À cela, il a ajouté qu’il ne faut pas avoir honte de son histoire, peu importe la couleur que l’on a, parce que c’est la seule histoire qu’on a. Il m’a semblé que c’était bien là un des objectifs de la commémoration du Congrès : se souvenir que son histoire vaut la peine d’être racontée, par soi, avec son point de vue, même si l’on partage une histoire commune. Il a rappelé les propos de James Baldwin, qui disait que l’histoire des Noir·e·s, c’était l’histoire de l’Amérique et que cette histoire n’était pas belle, mais que ce n’était pas parce que l’histoire n’était pas belle qu’il ne fallait pas la dire. L’éditeur soulignait alors que « les histoires qui nous étouffent, nous aliènent, nous font grandir, elles font de nous ce que nous sommes ».
La maison d’édition Mémoire d’encrier a été fondée en 2003 et se donne comme devoir de donner la voix à l’authenticité provenant de toutes les origines. Son fondateur précise : « La seule certitude que j’ai en écrivant, c’est que d’autres écrivain·e·s vont émerger. » L’éditeur fait référence à des auteur·rice·s qui ont « une vision du Québec », comme Naomi Fontaine, par exemple, une Innue ayant publié son deuxième roman, Manikanetish, avec Mémoire d’encrier. Elle y raconte son retour dans sa communauté, prise entre deux cultures. Rodney Saint-Éloi estime que c’est cette profondeur d’histoire qu’il souhaite partager au sein de sa maison d’édition.
Puis, évoquant l’événement qu’est le Mois de l’Histoire des Noir·e·s, M. Saint-Éloi ajoutait que ceci ne devrait pas se faire uniquement en février. « On parle de racisme, pas parce qu’on en a envie, mais parce qu’il existe, comme on parle des oranges parce que les oranges existent. La république ne doit être ni noire, ni blanche, ni jaune, ni autochtone, mais une culture. » Il a terminé son message en nous disant qu’il faut que « toutes et tous trouvent en eux cette part de liberté et marchent dans la ville en faisant du bien », que « dès qu’un peuple a des écrivains, des chanteurs, des gens qui regardent l’horizon, le peuple est libre ». C’était une forte conclusion qui a laissé planer une douce émotion au sein de l’assistance.
L’autrice et historienne Dorothy Williams nous a par la suite présenté divers journaux écrits par des communautés noires au fil des années.
Appropriation culturelle
Finalement, Elena Stoodley a joué diverses cassettes de discours prononcés par des Montréalais.es noir.e.s, datant de l’époque du Congrès des écrivains noirs, matériel sur laquelle la jeune artiste fait présentement des recherches. Elle souhaitait démontrer la puissance de ces discours, d’une singularité étrangère à ce que l’on peut entendre de nos jours. Elle pense que la fougue, l’émotion et le sentiment d’urgence présents dans la voix des militant·e·s n’ont plus la même intensité aujourd’hui. En tant qu’artiste, elle a d’ailleurs tenu à revenir sur la notion d’appropriation culturelle, sujet fortement médiatisé au cours des derniers mois. Selon elle, cette situation évoque une « continuation de la colonisation ». Faisant référence à la pièce de théâtre SLĀV tant controversée du dramaturge Robert Lepage, en parlant de la représentation des personnes noires, elle dit : « Nous ne pouvons pas raconter nos histoires, mais d’autres sont célébrés quand ils le font à notre place. » Elle termina sa présentation en expliquant sa vision de l’évolution du combat des personnes noires. « La première génération se battait pour sa vie, l’autre pour ses droits civils, et maintenant on se bat pour la représentation. »
Cette soirée m’a laissée méditative quant à la force incroyable de tou·te·s ceux et celles qui ont milité pour cette cause, en cela que le combat pour la pleine équité des personnes noires demeure encore très éloignée et demande un courage sans cesse renouvelé. Reconnaissons que l’émergence d’une diversité culturelle dans les publications est un avantage majeur. L’histoire humaine qui demande à être racontée n’est pas que montréalaise et n’est certainement pas que blanche ; elle est infiniment plus riche que cela.