Doukipudonktan. Qui se cache derrière ce néologisme égayant ? Raymond Queneau, bien entendu. En effet, c’est sur cette transcription phonétique, devenue célèbre, que s’ouvre le roman Zazie dans le métro, paru en 1959.
Loin d’être un lecteur assidu (mis à part les bandes dessinées), j’ai pour habitude d’entamer un livre et de ne pas le terminer, faute de rigueur ou encore à cause du détachement que je ressens parfois envers le sujet de la narration ou le style de l’auteur. Cependant, s’il y a bien un roman que j’ai dévoré avec avidité, jusqu’au point d’en réclamer davantage, c’est celui-ci. Chef de file de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) qui a pour objectif d’explorer la notion de « contrainte » littéraire et d’en constituer de nouvelles, l’oeuvre de Queneau se détache du roman moderne. Même si à première vue l’épopée de la petite Zazie a tout d’un roman d’apprentissage, la fin de l’ouvrage nous prouve le contraire.
Zazie, jeune provinciale de douze ans, débarque à Paris avec un objectif précis : prendre le métro. Hélas, « les employés aux pinces perforantes ont cessé tout travail » et Zazie a beau riposter et s’indigner, le métro demeure en grève. Elle est alors entraînée dans une épopée loufoque avec son oncle Gabriel, danseur de charme, qui l’amène à côtoyer une ribambelle de personnages improbables, dont un chauffeur de taxi, un cordonnier, un pédophile, un groupe de touristes déchaînés, une veuve, un perroquet, et j’en passe. En bref, impossible de ne pas se fendre la poire. Pour couronner le tout, Queneau utilise un langage qui lui est propre, fait d’emprunts à l’argot, d’expressions issues du langage familier et de transpositions phonétiques. Les jeux de mots débordent au-delà des dialogues et se frayent une place dans la narration. La trame devient presque accessoire, tant l’attention est (dé)tournée vers le langage. Ainsi, la veuve Mouaque crie aux « guidenappeurs » tandis que Zazie harcèle son oncle pour comprendre s’il est réellement « hormosessuel ». On lit également que « du sous-sol émanait un grand brou. Ah ah ».
Je me rappelle, à ma première lecture de l’œuvre, avoir eu la sensation d’être catapulté dans le terrain de jeu d’un académicien délirant. Cependant, si on accepte la confusion que cela engendre, il n’y a rien de plus tordant. Aussi, Queneau ne semble pas vouloir nous dégoûter en peignant un monde d’adultes pervers vu à travers les yeux innocents d’une enfant : il n’y a pas de noirceur dans ce livre, puisque le tout est présenté en l’humour et en légèreté. Seule la ville est sujette aux critiques : elle est un lieu de perdition dans lequel même ses habitants ne se retrouvent pas, si bien que le chauffeur de taxi confond les Invalides et le Panthéon. Lorsque Zazie est raccompagnée à la gare et que sa mère lui demande ce qu’elle a fait durant son séjour à Paris, elle répond succinctement « j’ai vieilli ».
Zazie m’a exhorté à renouveler mon rapport à langue française, à ne plus la considérer comme une langue prescriptive et intransigeante. Il m’a poussé à me l’approprier et à reconnaître que sa richesse nous dépasse.