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Mois de l’Histoire des Noir·e·s : Lire entre les lignes des livres d’histoire

Durant tout le mois de février, mcgilloises et mcgilllois ont l’opportunité d’assister à divers événements autour du thème de la justice dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, organisé par le Bureau de l’éducation en équité sociale et diversité (Social Equity and Diversity Education Office, SEDE, ndlr). Pour le gouvernement fédéral, « chaque année en février, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, les Canadiens sont conviés à prendre part aux célébrations et aux activités qui soulignent le patrimoine des Canadiens noirs, ceux d’hier et d’aujourd’hui ». Bien qu’on puisse retracer les origines de pareils événements en 1926 aux États-Unis, le Mois de l’Histoire des Noir·e·s n’a vu le jour qu’en 1995 au Canada. Depuis, l’organisation du Mois ne laisse pas de marbre, certains célébrant l’initiative alors que d’autres la condamnent. Si certains désapprouvent le choix du mois de février pour questionner l’Histoire afro-canadienne puisqu’il a été historiquement choisi aux États-Unis afin de coïncider avec les anniversaires de Lincoln et de Douglass, d’autres y sont simplement opposé·e·s.

Shanice Yarde, responsable de l’organisation du Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill, dit chercher sans cesse à relever de nouveaux défis pour améliorer la représentativité et l’inclusivité des évènements (« Créer un espace de célébration », édition du 5 février). Nous saluons ses efforts, visant à « écouter l’histoire des personnes qui ont été le plus marginalisées au sein de la communauté noire et d’apprendre de leurs expériences ».

Cependant, la semaine dernière, D’Johé Kouadio soulignait quelques-uns des écueils dans lequel nous risquons de tomber si l’on célèbre cet évènement sans nuance (« Un mois pour l’histoire des Noir·e·s », édition du 5 février). Tout réside déjà dans la volonté d’une célébration. Commémorer l’histoire des Noir·e·s, si tant est qu’elle existe dans cette homogénéité assez réductrice, ne devrait pas relever d’un folklore qui mobilise les consciences, une fois par an, sur les résistances de communautés opprimées faisant face à la brutalité des sociétés racistes. Un mois de l’histoire des Noir.e.s, et il existe des initiatives qui vont dans ce sens, devrait inciter les institutions telles que les universités à questionner leur approche de ce qu’on appelle plus généralement les Black Studies. Celles-ci méritent de s’inscrire dans des spécificités régionales et temporelles.

En effet, si, par exemple, la construction d’une mythologie autour de héros afro-américains tels que Martin Luther King ou Malcolm X est fondamentale à la mémoire des personnes Noir·e·s, elle est insuffisante pour englober l’ensemble des dynamiques et des relations qui ont été vécues et observées au sein des communautés noires du monde. C’est leur parcours que l’on aime raconter, à l’image des grandes odyssées littéraires, parce qu’ils sont ahurissants d’intensité et de fureur. Ces destins sont racontés aussi parce qu’ils offrent un spectacle qui fascine ceux qui ne sont pas confrontés aux sévices qu’ont subi et subissent encore les personnes noires.

Cette glorification de personnages censés à eux seuls incarner l’histoire des Noir·e·s passe sous silence les combats quotidiens de ceux et celles qui n’étaient ou ne sont pas des “intellectuel·le·s”, des artistes ou des leaders politiques. Cette glorification tait les réalités de ces individus anonymes qui font face quotidiennement au harcèlement, aux violences policières, à la discrimination à l’embauche. Pourtant, leurs expériences participent aussi à cette « Histoire ». Finalement, si l’idée de diaspora africaine ou afrodescendante et de ses célèbres figures a su amplifier les luttes locales des personnes subissant la discrimination raciale, elle est cependant un concept complexe traversé par ses propres rapports de force et ses propres cas de marginalisation. Dans ce contexte, les efforts comme ceux de la maison d’édition Mémoire d’encrier, fondée en 2003 par Rodney Saint-Éloi qui souhaite donner cette tribune aux auteur·rice·s aux origines multiples, afin que ceux·celles-ci nous livrent ces combats quotidiens sont essentiels (« Lutter pour la représentation », page 13).

Il est aussi de notre devoir de nous interroger sur l’adéquation et la désirabilité de la notion même d’histoire et du singulier qui lui est apposé. En effet, les qualités que l’on y associe ne correspondent pas à la réalité de la discipline, supposément fondée sur une exigence de neutralité, d’objectivité, d’universalité et  de scientificité. L’idée même que les événements passés puissent être étudiés avec une rigueur scientifique et que l’histoire des peuples puissent par-là être écrite ne va pas de soi.

Cette exigence de vérifiabilité dans l’approche écrite et linéaire de l’Histoire est un élément-clé des logiques coloniales, qui effacent et discréditent les histoires des peuples colonisés transmises par d’autres voies et dans d’autres logiques que par la transmission d’écrits chronologiques re-traçables. Il s’agit donc de déconstruire le mythe de l’universel et de la neutralité pour montrer la blancheur du monologue historique que l’on enseigne et que l’on apprend. Pour ce faire, il faudra nous souvenir de l’idée du poète et dramaturge canadien George Elliott Clarke que « la chose la plus révolutionnaire que [l’on puisse] faire, c’est devenir un·e chercheur·se, un historien·ne, un·e professeur·e ou un·e artiste qui se confronte à l’Histoire. »


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