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Pierre Kwenders vise la lune

Rencontre avec un artiste montréalais aux multiples facettes.

Neil Mota

Pierre Kwenders, ou PK, est « chanteur, DJ, ambianceur, ambassadeur de la bonne humeur, disciple de Douk Saga », et cofondateur du collectif Moonshine. Ce collectif organise des soirées depuis plus de quatre ans, à Montréal, les samedis, après la pleine lune. Les DJs y sont variés, la musique aussi : afro-house, house, coupé-décalé, reaggeton, techno. Cette exhaustivité est importante pour Kwenders : « Mélanger les genres, c’est le secret, c’est important parce que, des fois, on peut très facilement oublier que les gens bien qu’ils veuillent danser en écoutant un DJ, ils veulent aussi découvrir ». C’est ce qui frappe quand on va à une de ces soirées. Chaque DJ apporte un nouveau style, une nouvelle danse. C’est un véritable « voyage du mouvement, parce que le corps bouge de différente façon. C’est tout un exercice physique, mais qu’on fait avec plaisir, dans ce voyage musical ».

Moonshine vient d’un manque, ressenti par PK et ses ami·e·s, une fois arrivé·e·s à Montréal : « On sentait ce manque-là quand on sortait – et déjà on sortait pas souvent, parce que les quelques fois où on sortait, on écoutait et dansait sur la même musique. » L’idée était de faire une soirée pour eux, par eux, étant majoritairement issu·e·s de la diaspora africaine. Il monte ce projet en partie pour financer sa tournée européenne, mais aussi, rappelle-t-il, pour « jouer de la musique qu’on aime » avec ses ami·e·s. Mais dès la première soirée, c’est un succès. Plus de 200 personnes se sont présentées : c’était le début d’un rendez-vous mensuel. « Les gens se sont attachés très rapidement à ce qu’on offrait comme musique et comme vibe. Parce qu’à la base c’est vraiment une vibe très familiale, très amicale, et on a toujours voulu garder ça comme ça ». Cette sensation d’intimité et de confort est quelque chose que l’on ressent beaucoup lors de ces soirées. Puisque ces nuits musicales sont souvent organisées dans un entrepôt, on a de la place pour danser, discuter, écouter, loin de la sensation étouffante propre aux boites étriquées. Ces soirées finissent tard, souvent après six heures. Une évidence pour Pierre : « En Europe et en Afrique, ça ferme pas à 3h quoi, tant que la fête est pas finie, elle est pas finie ! »

En Europe et en Afrique, ça ferme pas à 3h quoi, tant que la fête est pas finie, elle est pas finie !

Montréal ou Kinshasa 

Habitant à Montréal depuis 2001, Pierre est né à Kinshasa, où il a grandi. Arrivé à 16 ans, il a fini son secondaire et est allé à l’université ici. C’est aussi dans la métropole québécoise qu’il a commencé la musique. Il est attaché à cette ville qui l’a vu mûrir et dans laquelle il s’est épanoui artistiquement : « Montréal m’inspire tout le temps, et je ne pense pas que j’aurais fait la musique que je fais aujourd’hui si je ne vivais pas à Montréal. » Il apprécie sa taille, sa liberté, qu’il préfère à Paris. « Si j’habitais à Paris, je ne sais pas où mon inspiration irait. Probablement que ça serait totalement autre chose. La vie à Montréal, c’est une plus petite communauté, ce qui permet de travailler beaucoup plus facilement et d’avoir accès à certaines choses beaucoup plus rapidement qu’à Paris. » C’est ici qu’il s’est formé, qu’il a fait de la musique son métier. Il se sent bien ici, une ville où il se sentira toujours chez lui. 

Le « rêve africain »

Pierre parle souvent – dans ses entrevues – « du rêve africain ». Partant à la base d’un simple jeu de mots faisant écho au rêve américain, ce rêve africain est lourd de sens. Il correspond à sa réalité : « Étant né en Afrique, je suis fier de dire que je vis le rêve africain, par ce que je fais, de promouvoir la culture africaine, et toutes les cultures afrocentriques qui peuvent exister. Et de ça, j’en suis fier. » En tant que membre de la diaspora africaine, il considère important « d’essayer de redonner à ce continent-là qui nous a donné la vie, nous qui sommes ici, qui bâtissons des carrières, ou qui faisons la promotion de la culture africaine  ». Souvent qualifié, à tort, du terme galvaudé de « world music », sa musique et ses DJ sets se veulent être le reflet d’un certain panafricanisme musical. En tant que DJ, il s’inspire de Branko, Black Coffee et de son ami Bonbon Kojak, lui aussi membre du projet Moonshine, qui l’inspire énormément « même si on n’a pas nécessairement le même style ». Ses sets s’inspirent principalement de musique africaine : « Le coupé-décalé, afro-house, afrobeat, le kuduro, du dongolo, de la rumba congolaise, et j’essaye du mieux que je peux, à ma façon, de représenter ça quand je mixe, de faire voyager les gens. » C’est pourquoi il joue souvent des morceaux rares, peu connus, prônant l’importance de la découverte musicale. Une démarche bénéfique pour tout le monde : « Le chanteur qui a composé la chanson va être heureux parce que des gens vont découvrir sa musique, le DJ est heureux parce qu’il a fait découvrir de la musique, et les gens qui viennent danser sont heureux parce qu’ils viennent de découvrir la musique, qu’ils pourront ajouter à leur bibliothèque musicale et sur laquelle ils pourront danser à nouveau. » Sa musique se veut sans frontières, comme sa pratique artistique.

Une exhaustivité artistique 

Kwenders est depuis peu acteur au théâtre : il joue dans Ombre Eurydice Parle d’Elfried Jelinek, mis en scène et adaptée par Stéphanie Cardi, Mathieu Leroux et Louis-Karl Tremblay. Il y interprète Orphée, et est « accompagné de trois actrices magnifiques, Louise Bédard, Stéphanie Cardi et Macha Grenon, qui toutes jouent le rôle d’Eurydice ». Il joue un artiste-chanteur, aimé de tous. Ce rôle lui a été proposé un peu par hasard. « Je venais de finir le tournage du film Les Salopes de René Beaulieau avec Brigitte Poupart et Louis-Karl m’a contacté par email, en me disant : « Pierre je vais faire une adaptation du mythe d’Orphée et puis j’aimerai te parler pour voir si tu serais intéressé pour le rôle d’Orphée, ça serait bien si on pouvait se rencontrer. » Un nouveau défi pour lui, excitant, mais intimidant « parce que les gens sont là, ils te voient, c’est direct, le niveau de stress est plus élevé ». Il tire de cette expérience une nouvelle présence scénique. Il y a une certaine continuité entre ses différentes facettes. « La musique que je découvre en tant que DJ m’inspire énormément dans mon art, dans ma musique à moi. Les textes que je vais apprendre au théâtre, les émotions que je dois exprimer, tout ça peut se retrouver sur une chanson d’une manière ou d’une autre. » En décloisonnant sa pratique artistique, il semble capable d’aller plus loin, de proposer une approche nouvelle, complexe.

En fait, Pierre Kwenders est partout. En streaming sur toutes les plateformes légales, on peut écouter ses deux albums ; sur Soundcloud où l’on peut retrouver ses sets, ainsi que les nouvelles sorties de son label Moonshine. Il est aussi mannequin pour la marque montréalaise Eden Power Corp. À Montréal, il joue sur les planches du Théâtre Prospero, du 11 au 27 avril, dans Ombre Eurydice Parle. Il anime les soirées Moonshine, tous les samedis après la pleine lune, mais mixe aussi les jeudis soirs au bar le Ti Agrikol. Par ailleurs, avant une date, il est souvent au Marché Méli-Mélo, à côté de la station Fabre. C’est un restaurant haïtien où il a ses habitudes : « C’est un rituel quand je tourne, au Québec par exemple, je m’arrête toujours là, je me prends une assiette griots puis ça fait mon repas pour la journée quoi (rires, ndlr). Ça remplit très bien et puis c’est vraiment un de mes endroits favoris de la ville quoi. »


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