Face aux critiques presque systématiques des étudiant·e·s mcgillois·e·s sur le fonctionnement et l’efficacité des services de santé mentale offerts par l’Université, Le Délit a souhaité s’entretenir avec Martine Gauthier, directrice exécutive des services aux étudiant·e·s. Elle supervise onze services, parmi lesquels on retrouve notamment les services de santé, de santé mentale et de planification de carrière. L’unité qui les englobe est donc très large. La directrice partage son point de vue sur les besoins étudiants en santé mentale et sur les initiatives qu’entreprend l’Université pour tenter d’y répondre.
Santé et maladie mentale
Une distinction sur laquelle Martine Gauthier a souhaité insister dès le départ était celle différenciant santé mentale et maladie mentale. « La différence n’est souvent pas claire. Lorsque l’on parle de maladie mentale […], l’on parle de gens qui sont cliniquement diagnostiqués, par exemple de bipolarité, de schizophrénie ou de troubles alimentaires. […] Alors que la santé mentale, tout le monde en a une. L’on peut avoir une bonne santé mentale, ou une mauvaise santé mentale ou n’importe quel niveau entre les deux, dépendant de ce qui survient dans notre vie. » Selon ses propos, il est tout à fait possible d’être simultanément diagnostiqué d’une maladie mentale et d’avoir une bonne santé mentale. Inversement, des individus sans maladie mentale peuvent avoir une santé mentale déplorable. « Peut-être parce qu’il·elle·s ne dorment pas, ou ne prennent pas soin d’eux·elles, ou sont constamment stressé·e·s. Il·elle·s n’ont pas de maladie mentale, mais leur santé mentale est mauvaise ». Elle précise : « les taux de maladies mentales ne sont pas en hausse. Ce qui augmente, et ça, ce n’est pas juste à McGill mais dans le monde entier puisque c’est la population jeune entière qui est concernée, ce sont les taux d’anxiété et de dépression non cliniques. »
Ainsi, explique-t-elle, si nous nous plaçons dans le contexte mcgillois, où les attentes académiques sont extrêmement rigoureuses et où près d’un tiers des étudiant·e·s proviennent de l’international, il est clair que selon la majorité, le stress académique est très élevé, et le soutien très faible par rapport à la demande.
Les taux de maladies mentales ne sont pas en hausse. Ce qui augmente, […] ce sont les taux d’anxiété et de dépression non-cliniques
Un effectif insuffisant
Il est bien connu que le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous psychologique représente un problème extrêmement commun chez les étudiant·e·s mcgillois·e·s. Martine Gauthier ne le nie pas ; elle affirme en effet que le temps moyen d’attente est de 4 à 6 semaines, « ce qui est trop », affirme-t-elle. Cependant, elle tient à noter : « Cela fait deux ans que je suis là. […] À l’automne 2016, il y avait un temps d’attente de presque six mois. […] Depuis, nous avons augmenté le nombre de professionnels pour réduire ce temps d’attente ». Pouvons-nous nous attendre à de nouvelles augmentations d’effectif pour écourter davantage l’attente moyenne ? « Oui, c’est un projet », soutient Martine Gauthier. Mais cela dépendra toutefois du résultat du référendum auxquels les étudiant·e·s devront répondre au printemps, leur demandant d’augmenter la part de leurs frais finançant les services. Si le vote est « oui », ceux-ci bénéficieront de plusieurs millions de dollars supplémentaires pour financer de nouvelles embauches.
Martine Gauthier tient aussi à mentionner qu’un professionnel spécialisé en traumatisme sera disponible à partir de l’automne prochain. Celui-ci travaillera notamment avec O‑SVRSE (Office for Sexual Violence Response, Support and Education, Bureau d’Intervention, de Prévention et d’éducation en matière de Violence Sexuelle en français, ndlr), pour soutenir les survivant·e·s de violences sexuelles, mais aussi, par exemple, certain·e·s étudiant·e·s provenant de l’étranger et ayant pu vivre des traumatismes autres, comme la guerre, par exemple.
Encourager les demandes
Faciliter l’accès aux services de santé mentale constitue l’un des objectifs centraux du nouveau centre de bien-être étudiant Rossy (Rossy Student Wellness Hub en anglais, ndlr), qui ouvrira au début de l’été. Afin de tenter de lutter contre le malaise lié à demander de l’aide psychologique, « nous avons formé une équipe interprofessionnelle composée de psychologues, psychiatres, diététiciens, infirmiers… qui seront tous regroupés dans un même centre ». Ainsi, lorsqu’une personne voudra s’y rendre, personne ne pourra connaître le but de sa visite. Le centre « virtuel » a le même objectif ; rendre le tout plus accessible. « En ce moment, il y a autour de 20 sites internet qui concernent la santé des étudiant·e·s, c’est très confus et complexe. Le but est donc de tout rassembler en un seul site internet. »
Martine Gauthier parle aussi des douze nouveaux·elles conseiller·ère·s locaux·les (local wellness advisors en anglais, ndlr) disponibles à compter de l’automne prochain. L’objectif serait d’en avoir un·e par faculté, mais aussi dans les résidences, pour les étudiant·e·s internationaux et de second cycle… « afin qu’ils·elles puissent apprendre à connaître leurs étudiant·e·s. […] Mais ce n’est qu’un point de départ ». Celle-ci compte augmenter le nombre de ces conseiller·ère·s, notamment pour les orienter vers des groupes d’étudiant·e·s plus ciblés, en engageant par exemple un·e conseiller·ère qui s’occuperait de soutenir les étudiant·e·s racisé·e·s d’une certaine faculté.
Troubles alimentaires
« L’ancien programme de troubles alimentaires représente la vieille façon de fournir des services aux étudiant·e·s. Ce n’était qu’une petite niche, même si elle était extrêmement importante. » Le programme, qui a été supprimé en 2017, accompagnait environ 70 étudiant·e·s par année, étant généralement dans une condition grave et diagnostiquée. « Ces étudiant·e·s se doivent d’être traité·e·s par des soins intensifs. »
Lorsqu’interrogée sur comment remplacer le programme, celle-ci affirme que le nouveau centre amènera une nouvelle approche, axée sur la prévention et l’intervention anticipée. Martine Gauthier explique vouloir cibler les étudiant·e·s ayant déjà des habitudes alimentaires anormales, avant le trouble alimentaire. Pour cela, « nous voulons leur fournir des ressources de manière proactive », par exemple par le biais de thérapies de groupe ou de rendez-vous avec un·e diététicien·ne.
Une communication coupée
L’administration chargée de gérer les services de santé mentale ont-ils accès à des retours directs d’étudiant·e·s, et ceux·celles-ci peuvent-ils facilement communiquer leurs commentaires et leurs plaintes ? « Non. Mais cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas là-dessus. » Il y a tout de même, affirme Martine Gauthier, de la représentation étudiante dans certains comités, comme le sous-comité du Sénat pour les services étudiants, où l’AÉUM a une place. Des étudiant·e·s ont aussi été impliqué·e·s au sein de plusieurs étapes de la construction du nouveau centre Rossy. Mais l’objectif reste de centraliser les retours. « En ce moment, cela nous vient d’un peu partout, et d’ailleurs beaucoup des journaux étudiants ». Martine Gauthier affirme toutefois que l’ensemble des services ont beaucoup augmenté leurs efforts de communication avec les étudiant·e·s. Et le centre Rossy « virtuel » a aussi pour objectif de faciliter cet aspect. « Nous voulons aussi mettre en place un système de feedback électronique », où les étudiant·e·s pourraient instantanément, après leurs rendez-vous par exemple, donner un retour sur leur expérience.
Lorsque l’on demande à la directrice exécutive de donner un dernier mot, s’adressant aux étudiant·e·s, celle-ci marque une pause. Cherchant ses mots, elle déclare finalement : « Nous entendons bien que l’expérience étudiante que les membres de la communauté ont n’est pas celle qu’ils auraient aimé avoir ». Martine Gauthier est visiblement consciente des problèmes dans leur ensemble, mais elle espère tout de même que le projet Rossy en règlera quelques-uns.