Kundera est intransigeant : l’authentique expérience humaine se doit d’être vécue. S’il fait l’éloge de la lenteur, il en dénonce aussi les vices. La valse aux adieux, dernier roman écrit en terre tchécoslovaque, se danse en cinq jours, comme autant de chapitres.
Nous plongeant dans une « ville d’eau au charme suranné », Kundera dresse l’illusion trompeuse d’une comédie de boulevard, où se mêlent les destins effervescents de personnages hétéroclites, trompeurs, menteurs et manipulateurs. Orchestrée dans la station thermale de la ville, où les femmes accourent en espérant devenir fertiles, l’œuvre rappelle une véritable toile d’araignée, où chacun espère échapper à un destin qui le broie.
Ruzena, infirmière de la station, cherche, sans en être convaincue, à accorder la paternité de son enfant à un homme qu’elle n’a vu qu’une fois. Klima, trompettiste célèbre, espère quant à lui se défiler de ce rôle, de même que celui de mari et d’amant qui lui pèsent contre son gré. Le docteur Skreta, un gynécologue qui guérit les femmes stériles, est un étonnant personnage qui semble utiliser des méthodes douteuses : les enfants que réussissent à avoir ces femmes lui ressemblant immanquablement. Puis s’ajoute à la valse Jakub, cet ancien combattant à la fois tragique et touchant, ayant vécu l’horreur de la prison et portant désormais comme un précieux cette minuscule pilule bleue, qui lui permet de contrôler sa mort, comme certains voudraient contrôler leur vie.
En quête de liberté, convaincus que leur sort ne peut se jouer que contre les autres, les personnages soulèvent des réflexions profondément noires, adressées avec une blasphématoire légèreté. Si le comique et le tragique s’enlacent au rythme d’une ironie latente, l’œuvre n’est pas sans rappeler Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare et autres valses accélérées du genre.
Kundera réussit toutefois à mettre en scène bien plus qu’un simple vaudeville, avec une profondeur et une richesse de réflexions qui confirment le pari de l’insoutenable légèreté. En filigrane de l’œuvre et des destins tragiques qui s’y trouvent, il dénonce le néo-stalinisme ambiant à travers des êtres symptomatiques des ravages de l’URSS sur la Tchécoslovaquie. Il tire le portrait d’une société à reconstruire et son cynisme est tel qu’il affirme dans l’œuvre : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne pourrais jamais dire avec une totale conviction : l’homme est un être merveilleux et je veux le reproduire. »
Puisqu’il est bien connu que « le monde moderne nous a privé même du droit au tragique », Kundera clôt son récit d’un non-dénouement, où les personnages ne peuvent, finalement, qu’être les auteurs de leurs risibles légèretés.