Au cours des derniers mois, Le Délit a enquêté sur l’itinérance affectant les hommes ayant passé plusieurs années au sein d’un pénitencier fédéral. Pour tenter d’esquisser ce phénomène méconnu, Le Délit a rencontré des personnes de la rue, des acteurs communautaires ainsi que des représentants d’agences gouvernementales. Voici le premier article sur 4.
Charles (nom fictif) est itinérant depuis environ 2 ans. Possédant un casier judiciaire et ayant été condamné à une peine de 48 mois de prison, le grand gaillard nous explique les déboires d’une réhabilitation sociale complexifiée par les multiples étapes administratives ainsi que les préjugés auxquels les personnes possédant un casier judiciaire font face.
Ayant passé une partie de sa jeunesse dans la rue, Charles est un ex-trafiquant de cannabis qui n’était affilié à aucun groupe criminel organisé. Puis, il y a environ 7 ans, des hommes faisant partie d’un groupe de motards criminel l’ont approché pour le forcer à travailler pour eux. Il accepte, se sentant obligé. Trafiquant à l’origine principalement du cannabis, les hommes du groupe organisé commencent à déposer chez lui des presses à pilules ainsi que des barils d’amphétamine. « J’étais rendu leur bitch », explique Charles qui se sent, dès lors, pris au piège.
Environ six mois plus tard, les forces policières tactiques débarquent au domicile de Charles, tuant l’un de ses deux chiens dans l’opération. Sa femme et lui sont arrêtés. Sa femme est relâchée, alors que de son côté, Charles purge 18 mois au centre correctionnel provincial de Bordeaux, puis est finalement condamné à 48 mois supplémentaires et est alors transféré à la prison fédérale de Cowansville.
En pénitencier
Charles décrit les conditions de vie en prison comme étant très dures. Il explique que « tout a été coupé » en termes de services et de ressources pour les détenus : zoothérapie, cours d’aide en gestion de violence, cartes sociales refaites lorsqu’expirées, cours de soudure, scolarisation. L’ex-détenu explique que le quotidien des détenus consiste principalement à travailler à l’intérieur de la prison et à accomplir des tâches de couture de matelas et d’uniformes pour les autres codétenus. « Ils paient environ 20 piasses par semaine, juste pour dire. »
Du côté des Services correctionnels du Canada, on explique que beaucoup de détenus travaillent au sein d’un programme intitulé CORCAN consistant en des formations et des activités professionnelles effectuées au sein même des établissements carcéraux. Jonathan Caron, directeur du secteur des centres correctionnels communautaires (SCC) de l’île de Montréal, affirme que les détenus ont droit à un salaire journalier « lié au rendement ». Il affirme également que le SCC favorise la scolarisation à l’intérieur des murs « jusqu’au niveau secondaire minimalement ».
Monsieur Caron affirme également que les détenus ont aussi accès à plusieurs ressources à l’intérieur des établissements fédéraux. « Il y a des services de professionnels (psychologues, agents de programmes, agent de libération conditionnelle) avec qui on tente de reproduire le genre de service auquel on pourrait avoir accès à l’extérieur d’un établissement. […] Quelques mois avant la sortie, il y a une planification de la mise en liberté où le SCC essaie de créer des ponts avec les ressources à l’extérieur (hébergement, soins de santé, soins en services sociaux) », explique M.Caron au Délit.
Lorsque questionné à savoir si les détenus sont bien informés de l’existence de ces ressources, M. Caron parle de « répertoires » étant mis à la disposition des détenus pour les aiguiller vers leurs besoins.
Les conditions de sortie
Aux deux tiers de sa peine, Charles sort du pénitencier par le mécanisme de la libération d’office, une libération exécutoire prévue par la loi pour tous les détenus ne présentant pas de danger imminent pour la société, contrairement aux prédateurs sexuels, aux pédophiles ou tout autre délinquant pouvant atteindre gravement à l’intégrité physique d’une personne. Après avoir passé deux mois en maison de transition, Charles retourne au sein de la société civile. C’est alors qu’un véritable chemin de croix commence pour l’ex-détenu.
En effet, Charles fait face à nombre de conditions de libération compliquant ses tentatives pour réintégrer le marché du travail. Tout d’abord, il ne peut pas se tenir avec des personnes possédant un casier judiciaire. Ensuite, de lourdes restrictions de mouvements le contraignent à demeurer sur l’île de Montréal tout en l’excluant d’environ 35% du territoire de l’île, avec des secteurs incluant un quadrilatère entre Papineau, Parc, Laurier et Sherbrooke, le quartier Saint-Henri et le secteur Ste-Marguerite-Saint-Jacques. « Si tu te fais arrêter dans le quadrilatère, tu rentres en prison pour manque de transparence et bris de condition, tu peux revenir en prison pour un autre 3 à 6 mois selon ta cause initiale. », explique l’ancien détenu. Charles affirme également que cette restriction l’a découragé à fréquenter les organismes venant en aide aux personnes en précarité étant donné que beaucoup d’organismes se trouvaient dans des zones lui étant interdites d’accès.
Au Canada, les services correctionnels sont de compétence provinciale pour les peines de moins de deux ans et de compétence fédérale pour les peines de deux ans et plus. Au sein des Services correctionnels du Canada, il existe trois principaux types d’établissements parmi lesquels varie la cote de sécurité (minimale, moyenne ou maximale). Selon le site internet du Service correctionnel du Canada, la cote d’un détenu est déterminée en fonction du risque d’évasion, de la menace à la sécurité publique en cas d’évasion ou encore du niveau de surveillance dont doivent bénéficier certains détenus (par exemple les chefs de groupe criminels). La plupart des détenus ne purgent pas l’entièreté de leur peine. En effet, les détenus peuvent bénéficier de permission de sortie avec ou sans escorte. Toutefois, le plus souvent, les détenus qui ne sont pas considérés comme étant une grande menace pour la société sont admissibles à une libération conditionnelle, c’est-à-dire la possibilité de purger la fin de leur peine en collectivité sous certaines conditions établies par la Commission des libérations conditionnelles.
Si les délinquants n’ont pas bénéficié d’une libération conditionnelle avant l’équivalent des deux tiers de la peine à purger, ils expérimentent dès lors la libération d’office, qui est prévue dans la loi à moins de contre-indication spécifique dans le cas de la menace qu’un délinquant peut représenter pour la société. Les personnes en libération d’office peuvent parfois passer par une maison de transition ou un centre correctionnel communautaire, qui sont des institutions surveillées et sécurisées, mais plus proche de la communauté.
Pour ce qui est de l’établissement des conditions de liberté d’un délinquant, Jonathan Caron explique que SCC établit le « profil criminel » des individus dès leur entrée en établissement. Il y a une coordination entre la sécurité du public et la sécurité du délinquant. « La loi nous oblige à avoir des mesures qui sont nécessaires et essentielles pour protéger le public, mais qui ne vont pas au-delà de cela. Ça pourrait être déraisonnable de restreindre l’accès à un quartier complet s’il n’y a pas des raisons qui le justifient, par exemple la sécurité d’une victime y résidant. » En effet, M. Caron aborde le fait que le SCC affirme accorder une plus grande place aux préoccupations des victimes d’actes criminels dans le système pénal, et ces préoccupations sont également prises en compte dans l’établissement de conditions. Par ailleurs, le site internet du gouvernement du Canada indique que « les délinquants en [libération d’office] doivent se conformer à des conditions de base, telles que l’obligation de se présenter à un agent de libération conditionnelle, de rester dans certaines limites territoriales ainsi que de respecter la loi et de ne pas troubler l’ordre public ».
Sans papiers
Sans argent, adresse ou même cartes d’identité, Charles s’est donc retrouvé à la rue à sa sortie de maison de transition. Étant donné qu’il ne possède pas sa carte d’assurance sociale, il est incapable de se trouver un emploi ou de louer un appartement. Pour survivre, en attendant de retrouver ses papiers d’identité, il mendie dans les lieux publics tout en obtenant de l’aide occasionnelle de commerçants de son quartier lui offrant des surplus alimentaires. D’aucuns pourraient s’imaginer qu’il peut être tentant pour une personne dans cette situation de retourner dans les activités criminelles pour assurer sa subsistance. Pourtant, Charles a refusé d’emprunter cette voie. « Après avoir pété la game, je voulais vraiment pas remonter [en pénitencier]. Je me suis dit que j’allais aller le plus low possible. »
Charles estime qu’en tout, cela lui a pris un an pour obtenir sa carte d’assurance maladie, et que cela lui a causé beaucoup de problèmes, l’ayant retardé dans sa démarche de réintégration. En effet, comme l’indique le Portail du citoyen du gouvernement du Québec, une personne dont la carte d’assurance maladie est expirée a besoin d’au minimum deux autres pièces d’identité, dont une avec photo, par exemple un passeport, un permis de conduire ou un certificat de naissance. Or, Charles, n’ayant aucun de ces documents étant donné ses années en pénitencier, est donc incapable de fournir ce genre de documentation. Pour compliquer encore la tâche, les parents de Charles n’ont jamais été présents, et ne peuvent donc pas l’assister pour obtenir son certificat de naissance, qui requiert également une pièce d’identité (comme une carte d’assurance maladie) et une preuve de domicile.
Charles a finalement réussi à obtenir sa carte d’assurance maladie avec l’aide d’un intervenant de rue. Par contre, trouver une adresse de domicile a été en soi une tâche ardue. En effet, il n’a pas pu se faire envoyer sa carte d’assurance-maladie dans une case postale de l’organisme Le Sac à dos, où travaillait l’intervenant lui étant venu en aide. Selon Charles, les cartes d’assurance maladie ne peuvent être envoyées qu’à des adresses étant « des lieux de résidence, où quelqu’un vit pour vrai ». Après vérification, le Portail du citoyen indique en effet qu’une demande pour une carte d’assurance maladie expirée depuis plus de six mois doit également inclure une preuve de domicile comptant par exemple des factures ou encore une déclaration sous serment. En désespoir de cause, Charles a donc rédigé une demande avec une connaissance, a déclaré qu’il habitait chez lui, fait un faux bail, et s’est présenté avec cette preuve pour finalement obtenir sa carte d’assurance. « C’est la seule façon dont j’ai pu obtenir ma carte. »
Une fois les pièces d’identité en main, après un an d’attente et de démarches, Charles a tenté d’obtenir de l’assistance sociale comme revenu stable. Pour compléter sa demande, il a été questionné sur ses revenus, et ce dernier a expliqué qu’il recevait des dons de passants en mendiant. Il s’est alors fait dire par les employés que ses revenus de mendicité allaient influencer le montant de l’assistance auquel il aurait droit. Sa demande a alors été refusée, et il a dû attendre trois mois supplémentaires pour effectuer une autre demande.
Cette situation n’est pas sans rappeler le cas d’une prestataire de l’assistance sociale ayant dû rembourser 25 000$ au MESS en 2014 pour avoir omis de déclarer ses revenus de mendicité.
Charles affirme que ce délai dans l’obtention d’une carte d’assurance-maladie l’a retardé dans ses démarches. Il croit qu’il aurait pu tenter d’obtenir une prestation d’aide sociale plus tôt. Il aurait pu obtenir les autres papiers manquants qui l’auraient aidé à se trouver un logement et ainsi faciliter sa réintégration dans la société civile. Par ailleurs, pendant ces déboires administratifs, Charles a dû être hospitalisé et a maintenant des dettes de plusieurs milliers de dollars. « J’ai des factures de deux mille, trois mille dollars. J’ai fait une crise d’asthme l’année passée, et je suis sorti avec une facture d’[environ] 1750$. » Après avoir passé l’hiver dehors sans logement, il y a perdu un orteil, amputé à cause du froid. Cette amputation affecte également sa façon de marcher et la circulation sanguine dans son pied.
Démuni, Charles a entrepris ses démarches au CLSC des Faubourgs qui compte au sein de ses services une clinique spécialisée en itinérance visant justement à répondre aux besoins particuliers de cette frange de la population particulièrement vulnérable. Un·e intervenant·e de la clinique a décliné la demande d’entrevue du Délit, et les demandes aux services aux médias sont restées sans réponse.
Le rôle du SCC
Ce scénario digne d’un roman de Kafka a de quoi surprendre. En effet, comment s’imaginer que le Service correctionnel du Canada peut laisser partir un détenu sans les documents nécessaires à sa réintégration sociale ?
Jonathan Caron explique que le SCC entreprend des démarches avec les détenus pour qu’ils puissent obtenir leurs papiers à temps à leur sortie. Toutefois, M. Caron précise que la responsabilité du renouvellement des cartes incombe aux détenus, même si le SCC s’assure d’avoir fourni la documentation nécessaire à l’émission de nouvelles cartes d’identité tout en accompagnant les personnes ayant besoin d’assistance, par exemple à cause de l’analphabétisme.
Charles serait-il alors un cas isolé ? « Malheureusement, ça arrive que des gens sortent et que les cartes n’aient pas été émises pour diverses raisons », convient M. Caron. Il affirme l’importance de la « responsabilisation » des détenus pour favoriser leur intégration sociale, et remet l’accent sur l’accompagnement du SCC dans l’entreprise des démarches nécessaires en aiguillant les détenus vers des ressources, par exemple des centres d’économie familiale.
Le SCC s’assure également de partenariats avec des ressources dédiées pour les personnes autochtones, notamment les Inuits qui forment une grande partie de la population incarcérée au palier fédéral et qui sont, de fait, grandement surreprésentées.
Dans ce contexte, comment s’assurer que les délais administratifs ne soient pas trop longs, étant donné la grande vulnérabilité d’une personne sans papiers d’identité et sans accroche pour réintégrer le marché de l’emploi et un revenu stable ? Jonathan Caron explique que les établissements fédéraux ont l’avantage d’avoir du temps pour travailler sur les dossiers des détenus étant donné la longueur des sentences (deux ans et plus).
« En principe, un détenu qui arrive à sa mise en liberté et qui n’a pas ses cartes d’identité ou son certificat de naissance, c’est un échec, parce que dans nos procédures on doit veiller dès l’admission à faire le suivi. […] Si malheureusement ça arrive quand même, en communauté, par exemple, on peut s’assurer d’avoir un traitement plus rapide avec les délais accélérés, mais c’est comme monsieur et madame Tout-le-Monde finalement. » M. Caron précise que le SCC doit prendre en compte la capacité à payer des anciens détenus pour entamer ce genre de démarche, et fournir des montants au besoin.
Le SCC indique accorder une grande importance à la réhabilitation sociale des délinquants plutôt que la punition de ceux-ci. Toutefois, celle-ci peut s’avérer ardue en raison de multiples discriminations auxquelles une personne judiciarisée peut faire face, par exemple la discrimination pour se trouver un logement ou un emploi. Caron explique qu’un certain travail en amont est effectué pour s’assurer que les détenus auront les ressources nécessaires à leur disposition une fois libérés.
Par exemple, dès l’admission du délinquant en institution, il y a des « évaluations communautaires » pour aller rencontrer les réseaux de connaissance du délinquant. Cette démarche a pour but d’informer le SCC des personnes sur qui le délinquant pourra compter à sa sortie ou, à l’inverse, si le SCC devrait recommander d’éviter le contact avec d’autres. Quant aux histoires de délinquants laissés à eux-mêmes à leur sortie ? « Il n’y a personne sans adresse sous mandat fédéral qui est laissé en se faisant dire ‘’Voici votre sac, monsieur’’ », répond Caron. Le directeur des centres correctionnels communautaires explique enfin que certains détenus peuvent avoir droit à des indemnités de subsistance selon leurs besoins, leur motivation à se trouver un emploi, les revenus disponibles ou encore l’accès à des locaux où le délinquant peut cuisiner. Par exemple, les personnes en maison de transition fédérales ne sont pas admissibles à l’aide sociale. 98$ par semaine sont alloués par la maison de transition pour les frais de chauffage, le logement, etc .Des billets d’autobus peuvent être fournis pour permettre aux personnes de participer à divers programmes. Certains délinquants ont également l’obligation de fournir des états financiers, et les maisons de transition peuvent également demander des pièces justificatives à certains détenus demandant des allocations financières.
Questionné à savoir si les revenus de quête d’un délinquant en situation d’itinérance sont pris en compte dans l’établissement d’une indemnité de subsistance, le directeur affirme que les revenus de quête ne sont pas pris en compte ni questionnés.« Ce n’est pas un acte que l’on encouragerait pour quelqu’un qui est en surveillance, pour plein de raisons évidentes. Ça pourrait mettre le délinquant dans l’embarras s’il y a la réaction d’un citoyen qui est défavorable. » Il réaffirme que le SCC essaie de détourner les gens de la rue le plus possible.
La suite ici :
- Sur L’Itinéraire, un organisme de réhabilitation
- Sur La Maison du Père, un organisme de réhabilitation
- Sur le Plan en itinérance 2018–2020 de Montréal