Après avoir écrit le livret JFK, présenté à l’Opéra de Montréal en 2018, Royce Vavrek prête cette fois ses mots à la musique de Ricky Ian Gordon dans la première canadienne de Twenty-Seven, opéra de chambre bilingue créé au Loretto-Hilton Center de Saint-Louis au Missouri en 2014.
La Génération perdue
L’histoire est centrée sur l’âge d’or (1907–1946) du salon de Gertrude Stein, écrivaine excentrique américaine de l’avant-garde et de sa compagne Alice B. Toklas, mémorialiste et autrice américaine d’un livre de cuisine, à la fois secrétaire et bonne de Gertrude. Véritable noyau du milieu artistique des années vingt et trente, le salon voit défiler les plus célèbres écrivain·e·s et artistes de la Génération perdue. L’expression désigne le groupe d’écrivain·e·s américain·e·s ayant atteint l’âge adulte pendant la guerre et ayant bâti leur réputation littéraire dans les années vingt. La sensation de perte était liée à l’écart entre leurs valeurs artistiques et celles de la société matérialiste et insensible d’après-guerre. Ces écrivain·e·s partageaient le même désir : découvrir de nouvelles valeurs et un nouveau langage artistique.
Peintres et écrivain·e·s
L’acte I présente les peintres Picasso et Matisse à leurs débuts, dont les œuvres ornent les murs du salon. Celles-ci sont figurées par des cadres métalliques accrochés à des panneaux sur lesquels sont projetées des photographies des peintures. Ainsi, le salon devient un musée vivant, où les voix entremêlées des chanteur·se·s reproduisent l’atmosphère cacophonique et festive du lieu. Cependant, un esprit de compétition règne parmi les peintres qui rivalisent pour l’approbation de Gertrude, laquelle affirme pouvoir découvrir les génies parmi les artistes. La jalousie se dessine en filigrane et divise les artistes tandis que la Première Guerre s’ébauche à l’horizon.
Après la guerre, c’est au tour des écrivain·e·s de fréquenter le 27, rue de Fleurus. Hemingway et Fitzgerald luttent pour la reconnaissance de Gertrude en essayant de prouver leur virilité pendant que l’écrivaine pose pour le photographe Man Ray. Une dispute éclate entre Gertrude et Hemingway, ce dernier qualifiant de « foutaises » l’écriture de son hôte et son soi-disant génie. Il la traite également d’« homme manqué », ce qui provoque l’expulsion des écrivain·e·s du salon. La mise en scène montre ce jeu sur les genres auquel participe Gertrude, habillée conformément au genre traditionnellement masculin, mais aussi Henri Matisse et Leo Stein, le frère de l’écrivaine, qui révèlent respectivement un corset et une culotte avec des porte-jarretelles sous leurs costumes lorsqu’ils imitent les femmes des artistes en se moquant de leur vanité.
Des voix représentatives
Pour ce qui est de la distribution des rôles, les choix du metteur en scène Oriol Tomas ont été très judicieux. Le jeu des chanteurs et des chanteuses est très juste et expressif. De plus, les caractéristiques vocales de la relève de l’atelier lyrique de l’Opéra de Montréal conviennent parfaitement aux rôles interprétés. En effet, la voix de mezzo-soprano « chaude et expressive », selon le programme de l’Opéra de Montréal, de Christianne Bélanger correspond à la personnalité chaleureuse et exubérante de Gertrude Stein. La soprano Elizabeth Polese incarne à merveille Alice B. Toklas, « femme » au foyer revendiquée de Gertrude, effacée derrière la présence imposante de sa compagne. Quant à Rocco Rupolo, sa voix de ténor véhicule l’insécurité et l’émotivité du jeune Picasso. Finalement, la voix de basse de Brenden Friesen traduit la virilité d’Hemingway.
Bien que l’écriture de Royce Vavrek ne soit pas dénuée d’un certain lyrisme, elle tend à la répétition et au prosaïsme. L’opéra racontant une histoire d’écrivain·e·s, on se serait attendu à un meilleur équilibre entre la poésie de la musique et celle du texte.
Twenty-Seven met en scène les difficultés de la création artistique ainsi que les obstacles que doivent surmonter les femmes artistes pour se faire un nom dans un milieu encore aujourd’hui dominé par les hommes. Ainsi, le texte de Royce Vavrek et la mise en scène d’Oriol Tomas font écho dans notre société actuelle.