Créée en mars 2019, la branche mcgilloise du mouvement étudiant québécois La planète s’invite à l’Université (LPSU) est une jeune organisation dotée de grandes ambitions. Mobiliser les étudiant·e·s lors des marches pour le climat, rencontrer les associations de McGill pour les inciter à faire grève, formuler les demandes adressées à l’institution pour faire progresser la cause de la justice climatique sont tout autant de projets que le groupe mène de front. Noah Fisher, membre de LPSU McGill, s’est entretenu avec Le Délit pour nous fournir plus de détails.
Le Délit (LD) : Peux-tu présenter l’organisation La planète s’invite à l’Université McGill ?
Noah Fisher (NF) : LPSU McGill est affiliée au mouvement québécois La planète s’invite à l’Université (qui regroupe plus d’une dizaine d’universités et de CEGEP au Québec, ndlr), mais nous fonctionnons de manière assez indépendante, du fait de besoins différents qui émergent entre une organisation francophone et une université anglophone. Essentiellement, nous sommes une organisation autonome non hiérarchique fondée sur un système de consensus dont le but principal est de promouvoir la justice climatique grâce à une action collective directe. Nous sommes donc un groupe politique, et non pas un groupe promouvant le développement durable. Ce que nous faisons en ce moment, c’est essayer de mobiliser les étudiants, avoir une action collective directe construite autour de grèves et promouvoir des assemblées générales.
LD : L’objectif de LPSU McGill est d’organiser une grève de grande ampleur, dans le but d’amener
l’administration à répondre aux demandes concrètes du mouvement. Quelles sont ces demandes ?
NF : La première est le désinvestissement des énergies fossiles. Il y a déjà le groupe Divest McGill qui œuvre pour ça, et nous ne voulons pas empiéter sur leurs actions, mais c’est quand même une de nos demandes. Par ailleurs, McGill a énormément de contrats de recherche en énergies fossiles, notamment avec Shell, aussi connu sous le nom de Imperial Oil, donc on conteste la recherche faite avec le pétrole et l’argent que l’Université déverse dans le pétrole. Nous demandons aussi des efforts de démilitarisation, à cause de la nature même de l’armée, le gâchis qu’elle cause, son injustice inhérente… Tous ces éléments ont un lien avec la justice climatique. Nous avons d’autres demandes qui ne seront pas formulées avant encore quelques semaines.
« Nous voulons que l’intersectionnalité soit au cœur de nos demandes et de notre mode d’organisation »
En ce qui concerne les demandes du mouvement à l’échelle nationale, il me semble qu’elles réclament un système éducatif environnemental pensé par et pour les étudiants, et des investissements transparents ainsi que le désinvestissement. Une demande temporaire qui a été formulée lors de la marche de mars dernier est que UNDRIP soit incorporée dans la loi canadienne (UNDRIP, ou DNUDPA en français, est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ndlr). Cette mesure témoigne du besoin d’un mouvement intersectionnel. On ne veut pas faire les choses à moitié. Beaucoup de mouvements environnementaux parlent d’intersectionnalité, mais ne l’appliquent pas réellement dans leur fonctionnement. Nous voulons non seulement que notre manière de nous organiser soit intersectionnelle, mais que l’intersectionnalité soit aussi au cœur de nos demandes.
LD : Quels sont vos principaux modes d’organisation et plans d’action pour mettre ces demandes en œuvre ?
NF : En gros, l’organisation essaie d’utiliser les grèves étudiantes et les actions collectives pour forcer la main du gouvernement, en plus d’actions directes à la façon de XR (Exctinction Rebellion, ndlr) et de travailler avec d’autres groupes. Nous espérons prendre le pouvoir entre nos mains, et l’utiliser pour mettre en œuvre nos demandes.
LD : Une manifestation mondiale pour le Climat se tiendra le 27 septembre, à laquelle vous participez. Quels sont les éléments sur lesquels vous allez concentrer vos efforts et qu’espérez-vous obtenir de cette manifestation ?
NF : Cette grève représente en quelque sorte le début d’un plus grand mouvement. On espère que ce genre d’action, qui combine des grèves de courte durée et une manifestation, aboutisse à une grève illimitée beaucoup plus conséquente. Avec une grève d’un jour comme celle-ci, nous espérons qu’elle contribuera à nous aider à nous construire, et à solidifier le mouvement. Car malheureusement, ce n’est pas une seule journée de grève qui va retenir l’attention du gouvernement. Peut-être qu’avec les élections qui arrivent, ils commenceront à en parler, peut-être que Québec solidaire arborera un cercle vert (le badge en feutre vert est le symbole du mouvement LPSU, ndlr) et prétendra nous soutenir, mais concrètement, nous visons plutôt le long terme que le court terme. Pour ça, on aimerait beaucoup travailler avec les syndicats, mais malheureusement, les lois fédérales du travail l’interdisent.
LD : Vos demandes s’adressent directement à l’administration – avez-vous réussi à obtenir une réponse de leur part ? Un dialogue a‑t-il été établi ?
NF : Non. La réponse ici est facile : aucune réponse.
LD : Depuis votre création en mars 2019, sentez-vous tout de même un changement de mentalité ou un plus fort engagement à l’égard des questions environnementales de la part du corps étudiant, de l’administration ou des associations étudiantes ?
NF : C’est difficile à dire. Quand on a organisé la marche et la grève de mars dernier, tout s’est fait à la dernière minute. L’organisation de la marche a vraiment débuté deux semaines avant. Donc à ce moment-là, à McGill, on n’a pas eu le temps de faire appel à beaucoup de monde, mais on était pris dans l’euphorie qui accompagne la création d’un mouvement parti de rien, et une mobilisation d’une telle ampleur. Mais maintenant, on a commencé à entrer en contact avec les associations des différents départements de McGill pour leur présenter notre projet de grève générale, et beaucoup semblent un peu… sceptiques et un peu froides. Je pense qu’elles veulent aider, mais McGill a une autre compréhension de ce que signifie l’action collective. Pour elles, c’est seulement ceux qui sont déjà mobilisés qui vont faire des choses. J’espère qu’au fur et à mesure de l’année, elles se rendent compte que l’action collective fait appel à tout le monde et qu’elles peuvent participer. Donc les associations rattachées aux différentes facultés et départements de McGill sont encore sceptiques vis-à-vis de ce modèle d’action, mais les organisations étudiantes et les groupes activistes, eux, nous soutiennent beaucoup.
LD : Enfin, une question un peu plus personnelle pour clore l’entrevue : quelle est l’émotion dominante chez toi lorsque tu penses à la crise climatique et écologique ? Est-ce que faire partie d’une organisation comme LPSU permet d’altérer ou d’atténuer cette émotion ?
NF : Je pense que c’est l’exaspération et la frustration. J’ai commencé par m’impliquer avec Divest, et plus je travaillais avec l’administration et découvrais les complications de la bureaucratie, plus je me suis rendu compte que les personnes avec qui j’essayais de travailler n’étaient pas sincères. Notre rhétorique était la suivante : regardez toutes ces injustices, regardez les évidences pratiques ; nous avons toutes les preuves dont nous avons besoin, pourquoi est-ce que vous ne faites rien ? Je ressentais de la colère, en me disant qu’ils n’en avaient rien à faire, qu’ils avaient leurs propres intérêts. Il n’est plus question de manque d’information ou d’éducation. Maintenant, il est question de capitalisme et d’intérêts égoïstes. Cette colère, cette désillusion, ce désenchantement se sont transformés en quelque chose du genre : « okay, faisons de l’action directe. » S’ils ne veulent pas nous écouter, il faut les forcer à le faire.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Béatrice Malleret