Le 17 septembre dernier, le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) ouvrait sa saison 2019–2020 avec une pièce frappante de contemporanéité : Knock ou le Triomphe de la médecine. Ce texte de Jules Romains datant de 1920 est monté par Daniel Brière qui, pour la première fois, s’occupe d’une mise en scène au TNM. Son collègue Alexis Martin incarne le docteur Knock, le personnage principal de la pièce. Les deux comédiens étant co-directeurs du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), la pièce connaît une saveur inhabituelle pour le TNM, et ce, tant dans la distribution des rôles que dans la mise en scène de Brière.
La médecine et les temps modernes
L’action se déroule dans un petit village de campagne française où le docteur Parpalaid, médecin de Saint-Maurice depuis près de 25 ans, vient de prendre sa retraite. Son successeur, un dénommé Dr. Knock, compte bien, coûte que coûte, moderniser sa profession : une consultation gratuite par semaine, diagnostics charlatans, surprescriptions, entente stratégique avec le pharmacien, etc. En moins de trois mois, Knock réussit à aliter plus de la moitié du canton qui, peu à peu, tombe dans une paranoïa hypocondriaque coordonnée par le docteur. Dans la version mise en scène au TNM, l’équipe a ajouté un épilogue dans lequel un médecin du système de santé québécois fait une apparition et vient interagir avec les personnages de Romains et le public.
L’absurde anxieux
La pièce est en fait une comédie burlesque ridiculisant la psychose moderne de la salubrité. Knock est un personnage machiavélique, tout en se voulant bienfaiteur, dont la devise résume bien la méthode : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » Pour convaincre ses patient·e·s de leurs maux imaginaires, le docteur les escroque à la manière des vendeurs d’élixirs du Far West. Il les manipule au point de les rendre fous et folles d’anxiété et, bien qu’il soit médecin des corps, joue plus souvent qu’autrement avec la santé mentale plutôt qu’avec la santé physique. Une visite chez le Dr. Knock, c’est l’ancêtre des autodiagnostics qu’on se pose après dix minutes de recherches sur Google. Ce qu’on croyait être un simple mal de gorge devient en un instant une pharyngite ou encore un cancer des bronches. Ce qu’il exploite réellement, c’est l’angoisse liée à l’ignorance de ses patient·e·s : ils et elles sont atteint·e·s de quelque chose de très grave qu’il leur expliquera plus tard, une fois qu’ils et elles seront alité·e·s. Il devient alors le seul à pouvoir les sauver, ce qui force la population à lui obéir au doigt et à l’œil.
D’absurde à grotesque
La mise en scène de Brière, quant à elle, reflète l’humour burlesque du texte. Le jeu des comédien·ne·s est grossier et cherche surtout à mettre en valeur la caractéristique principale du personnage : sa pauvreté, son avarice, son ivrognerie, son machiavélisme, etc. Il en va de même pour les maquillages et les costumes. On ne cherche pas ici un réalisme nuancé, mais plutôt un absurde éclatant. Ainsi, la pièce n’est pas montée avec l’intention de berner le public. Les projections vidéo, le jeu extravagant et les maquillages marqués rappellent constamment au spectateur et à la spectatrice qu’il·elle n’assiste pas là à une scène plausible de la vie quotidienne, mais bien à une comédie ricanant d’une absurdité sociale.
En ce sens, l’ajout d’un épilogue moderne où le quatrième mur est brisé relève de l’inutile. Tous les éléments étaient déjà en place durant la pièce pour que le·a spectateur·rice puisse, par lui·elle-même, dresser un parallèle avec la folie frénétique que l’on a encore de tout vouloir aseptiser jusqu’à la moindre cellule. Vouloir trop jouer à l’activiste social en explicitant son propos au maximum finit par nuire à l’œuvre en soi.
Toutefois, une telle fin peut faire du bien lorsqu’elle est présentée dans un théâtre comme le TNM. Brière vient briser les codes classiques en invitant le théâtre contemporain à s’immiscer dans une salle réputée pour suivre un corpus et une distribution plus traditionnels. Ce genre d’ajout expérimental se voit pourtant dans plusieurs autres salles montréalaises. Cette tendance est même monnaie courante pour certaines boîtes de production comme le NTE. L’on pourrait ainsi dire que Knock est une pièce du TNM pleine d’influences du Nouveau Théâtre Expérimental.
Présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 12 octobre.