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Enivrés, déjantés, désenchantés

Le Théâtre Prospero reprend Les enivrés pour débuter sa saison.

Nicolas Descôteaux

Troisième texte d’Ivan Viripaev présenté au Prospero depuis 2013, Les enivrés témoigne de l’enthousiasme grandissant qu’éprouve la scène internationale pour cet auteur contemporain russe. Sous la mise en scène de Florent Siaud, la pièce présente les dérapages d’une quinzaine de personnages ivres dans une variété de courtes scènes — indépendantes, mais toujours entrelacées. Soirée entre ami·e·s qui dégénère, enterrement de vie de garçon dans un restaurant végétarien, nuit de noces qui ne parvient pas à se passer dans l’intimité ; toutes les situations mènent inévitablement au déchirement des relations humaines, et parfois à leur reconstitution inespérée dans un mouvement burlesque.

Distribution de roc

Composée d’une distribution solide de dix acteur·rice·s, Les enivrés repose presque entièrement sur la performance de ceux·celles-ci. Leur faire jouer l’état d’ébriété ininterrompu durant l’entièreté d’une pièce d’une heure et demie est un pari risqué, mais néanmoins un pari que les acteurs et actrices relèvent avec un brio étonnant. Discours incohérents, paroles pâteuses et démarches chancelantes s’accumulent et se succèdent à divers degrés : l’illusion reste complète. Du côté comique des personnages, comme pour celui joué par Dany Boudreault (Gabriel) — s’échinant à faire reconnaître à ses amis l’existence de son frère prêtre catholique — à la contrebalance plus tragique des personnages, tels que ceux qui sont interprétés par David Boutin (Mark et Karl), tout ce que le texte peut offrir est mis en juste valeur par une performance égale et maîtrisée de la part de toute la troupe. Cela se fait malgré le glissement entre les accents, du français international au québécois, en passant par le français de la France hexagonale, qui semble s’opérer d’une drôle de façon alors que d’autres personnages comme celui de la prostituée Rosa, sont les seul·e·s à s’exprimer avec un fort accent québécois. 

Réflexions relationnelles

Le décor — constitué de bandelettes de tulle sur lesquelles sont visibles des projections difformes, d’artefacts de patio, et d’une variété de ballons de plastique — est d’une matérialité dérangeante dans son style bon marché. Pourtant, le plastique non soigné de l’environnement semble être en accord avec le grotesque de la majorité des situations.

Dans ces situations, le·a spectateur·rice cherche parfois la profondeur promise dans la brochure de la pièce. Il est difficile de prendre au sérieux les complaintes relationnelles des enivré·e·s, lorsque la plupart d’entre elles sonnent remâchées et creuses. L’alcool fait ressortir le vrai chez l’humain — ce vrai parfois laid, égoïste, vain ou stupide — et tout effort de connexion sincère à l’autre est ainsi nécessairement voué à l’échec. Malheureusement, le texte laisse un peu le public sur sa faim, surtout après une pièce comme Oxygène, aussi de Viripaev et mise en scène par Christian Lapointe en 2013. 

S’il n’est pas toujours clair s’il faudrait rire avec les enivré·e·s ou bien rire d’eux·elles, il reste qu’au cours de la pièce, les rires se font très souvent entendre. C’est ce vers quoi porte l’absurde : amuser dans une confusion effrayante. Ainsi, Les enivrés font cette promesse et la tiennent sans contredit. 

Présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 28 septembre. 


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