Dans le contexte de la conférence sur le climat à McGill, qui s’est tenue les 13 et 14 septembre, Erick Lachapelle de l’Université de Montréal et Normand Mousseau de Polytechnique Montréal se sont exprimés au sujet de la taxe carbone.
Une nouvelle taxe
Le gouvernement Trudeau a mis en place cet été une mesure forçant quatre provinces, qui n’avaient établi aucun système de tarification des émissions de carbone dans l’atmosphère, à adopter une taxe sur ces dernières. La taxe a été vivement contestée et le gouvernement conservateur de l’Alberta a apporté l’affaire en cour. Pour la première année, la taxe s’élève à 4 cents par litre d’essence, bien qu’elle doive monter jusqu’à 11 cents par litre d’ici 2022.
Le système québécois, établi en 2014, se base quant à lui sur une tarification en amont de la production : les entreprises se voient apposer un plafond d’émissions, mais peuvent acheter des permis à de plus petits pollueurs afin de couvrir leurs émissions excédentaires. Le gouvernement fédéral a accordé des remboursements aux ménages canadiens allant jusqu’à 500 dollars.
Perceptions divergentes
Érick Lachapelle, professeur et chercheur en sciences politiques, a dépeint un portrait de la perception de la taxe carbone par les Canadiens. Il a commencé par présenter l’évolution des perceptions de la population face au réchauffement du climat.
En 2019, seulement environ 10% des citoyens canadiens remettent en cause l’existence du phénomène, ce qui constitue aux yeux du politologue québécois « une nette amélioration ». Pourtant, il a aussi noté que de nombreux Canadiens continuent à croire que le réchauffement du climat n’est pas causé par l’activité humaine.
Selon ces observations, un système de quotas d’émissions, tel que celui en place au Québec et en Californie, recevrait hypothétiquement le soutien d’une majorité de citoyens canadiens, tandis que la taxe carbone ne bénéficie aucunement du même appui. Cela peut sembler paradoxal, puisque les effets sur le portefeuille des consommateurs sont similaires.
M. Lachapelle a avancé que la façon dont est abordée la question de la taxe carbone donne une différence substantielle dans son taux d’appui. Par exemple, mentionner le coût à la pompe fait baisser le soutien pour la taxe : près de 50% des appuis pour ladite taxe se volatilisent lorsque l’on mentionne un coût de 11 cents à la pompe.
Le professeur de l’Université de Montréal a aussi insisté sur l’importante polarisation de l’enjeu. Ainsi, la taxe est généralement appuyée par les partisans du Parti libéral du Canada, du Nouveau Parti démocratique ainsi que par les partisans du Parti vert, tandis que les partisans du Parti conservateur lui sont généralement opposés.
Le politologue a toutefois avancé que la source de cette opposition n’est pas nécessairement causée par une divergence de valeurs, mais plutôt par une exposition à différents types d’information. Le professeur a remarqué que si les partisans de chaque parti ne sont pas ou peu informés sur l’enjeu, ils ont des positions assez similaires sur la taxe carbone. Toutefois, à mesure qu’ils se disent plus informés, leurs positions face à la taxe divergent.
M. Lachapelle a conclu avec une analyse du système de remboursement mis en place par le gouvernement. Le gouvernement fédéral a accordé aux ménages canadiens des remboursements dont le montant varie énormément et qui peut atteindre les cinq-cents dollars pour certains citoyens. Il a affirmé qu’une grande part des Canadiens recevant des remboursements compensatoires pour la taxe carbone ignoraient l’existence de celle-ci ou avaient tendance à systématiquement sous-estimer son montant.
Une taxe qui a ses limites
Normand Mousseau, professeur-chercheur à l’Institut Polytechnique de Montréal, a fait le point sur les limites de l’efficacité de la taxe carbone comme outil principal d’une transition économique et énergétique.
Si la taxe carbone est présentée dans le monde de l’économie comme la solution la plus efficace et qu’elle est appuyée par plus de 3500 économistes américains et 1500 économistes européens, le professeur nous a rappelé les limites que cette dernière rencontre dans le monde « réel ». Il a souligné que la taxe carbone devrait être augmentée de manière substantielle pour avoir un effet marqué sur les émissions de GES (gaz à effet de serre) à l’échelle nationale.
D’ailleurs, plusieurs sources indépendantes contredisent les chiffres du gouvernement qui prédit une chute importante des GES grâce à la tarification du carbone.
Le professeur de la Polytechnique a aussi rappelé qu’une « grosse taxe » a de « gros effets ». Ainsi, si les effets de la taxe se font subir trop lourdement sur la population canadienne, il est fort à parier que ces derniers demanderont sa révocation. M. Mousseau a affirmé que la taxe carbone est un outil efficace si la population a le temps et les moyens d’ajuster ses habitudes de vie en fonction de l’augmentation de cette dernière.
Ainsi, dans le cadre de l’urgence climatique actuelle, miser uniquement sur la taxe risque de donner des résultats décevants. M. Mousseau a insisté sur l’importance d’avoir une approche holistique face à la crise climatique.
Il a cité l’industrie du ciment en exemple. La production du ciment et du béton, matériaux utilisés dans la construction de presque tous nos édifices, contribue substantiellement aux émissions de GES. Remplacer ces matériaux par du bois serait donc avantageux pour la réduction de l’empreinte carbone canadienne.
M. Mousseau a affirmé que taxer les émissions de GES ne donnerait pas de résultats miracles dans cette industrie, puisque les normes de construction sont conçues en fonction de l’utilisation du ciment et qu’il n’existe pas la même expertise avec le bois qu’avec le ciment dans le domaine de la construction. Les architectes, ingénieurs et ouvriers ne sont simplement pas habitués à travailler avec le bois. Une approche basée uniquement sur une tarification du carbone raterait vraisemblablement sa cible. Sans modification des normes, sans formation des ouvriers et des spécialistes et sans investissements significatifs dans les industries alternatives, comme celle du bois, une réelle transition économique serait impossible.
Finalement, M. Mousseau s’en est pris au Ministère de l’environnement, où il perçoit un excès de confiance dans le système actuel de quotas. Il a expliqué avoir observé que l’inutilité et le mauvais fonctionnement de plusieurs programmes du Ministère, comme le Fonds vert, étaient excusés par la tarification du carbone, perçu comme le réel moteur d’une transition énergétique.
Bref, Normand Mousseau nous rappelle qu’une transformation de l’économie requiert un investissement de temps et d’argent de la part de la société au grand complet. Laisser la magie du marché opérer en se fiant sur un système de taxation du carbone est non seulement insuffisant, mais pourrait avoir des effets pervers sur l’équité de notre société. ξ