Le Festival International de la littérature (FIL) se déroule présentement à Montréal, du 20 au 29 septembre. Véritable « fête de la parole », cet événement culturel aspire années après années à faire écho aux voix littéraires — passées et présentes — en proposant une programmation haute en couleurs.
Pour l’ouverture de l’édition 2019, les mots de Nelly Arcan et de Sylvia Plath ont résonné dans la Cinquième Salle de la Place des Arts les 20 et 21 septembre derniers. Retour sur cette mise en lecture poignante qui aura su ébranler bon nombre de festivaliers et de festivalières.
Nelly & Sylvia
Il y a 10 ans, Isabelle Fortier, de son nom de plume Nelly Arcan, se donnait la mort. C’était le 24 septembre 2009, date d’ouverture de la 15e édition du festival. Pour marquer la 25e édition cette année, le FIL rend hommage à la mémoire de celle qui n’aura été que météore au sein du paysage littéraire québécois. C’est grâce à l’idée originale de la journaliste Claudia Larochelle que les mots crus et dérangeants d’Arcan rejoignent ceux de la très regrettée poète américaine Sylvia Plath, dans une mise en lecture où les actrices Evelyne Brochu et Alice Pascual incarnent avec émotion les voix de Nelly et de Sylvia.
Dans un décor sobre, où la scène n’est occupée que par des lutrins, les corps fins et découpés des deux jeunes actrices rappellent irrévocablement ceux de Nelly et de Sylvia. Les corps habitent la scène comme ils habitaient l’œuvre des deux femmes — ils sont omniprésents, la chair offerte aux spectateur·rice·s dans une vulnérabilité totale. Le corps, chez Nelly, est synonyme de torture. Torture infligée par le regard des autres, par l’épilation, la chirurgie, l’anorexie. Pour Sylvia, le corps est synonyme de prison, véritable cloche de verre dans laquelle elle « mijo[tait] toujours dans le même air vicié ». 46 ans avant Nelly, Plath se donnait la mort. D’un même souffle, elles décortiquent ensemble, par un habile montage de textes, cette douleur qui est la leur : celle de ne pas avoir su trouver leur place.
Putain
« Sur un mur de mon appartement j’ai planté un énorme clou pour me pendre. Pour me pendre je mélangerai de l’alcool et des calmants et pour être certaine de ne pas m’endormir avant de me pendre, je me soûlerai debout sur une chaise, je me soûlerai la corde au cou jusqu’à la perte de conscience. Quand la mort viendra, je ne veux pas être là. »
Nelly crache dans Putain ces mots, criant de vérité de par la finalité qu’ils contiennent irrévocablement : le suicide, cadeau empoisonné que s’était promis l’autrice pour ses 30 ans. Dans un seul souffle, l’actrice Evelyne Brochu articule avec une maîtrise épatante l’univers débordant de Nelly. Elle scinde le texte comme celui-ci a été écrit : sans espace, d’une longue et pénible élancée, et qui se termine dans la fatalité que l’on lui connaît tous·tes — fin inextirpable mais pourtant plantureusement expliquée. Si leur incapacité à vivre unissait les deux femmes, le premier ouvrage de Nelly, Putain, a d’abord été pour elle un outil de survie, un journal qu’elle écrivait sous la recommandation de son psychanalyste et qu’elle publiera finalement, sorte de catharsis comme seul l’art le permet. Dans Putain, les mots d’Arcan choquent par leur manière de dire le laid. Isabelle y raconte Nelly, poupée qui doit la substituer afin de payer le coût faramineux de ses études en lettres. Elle se prostitue, devenant ce « décor qui se démonte lorsqu’on lui tourne le dos », prête à revêtir tous les filtres plutôt que d’habiter sa véritable peau.
Un outil esthétique
Si l’interprétation d’Alice Pascual est moins incarnée, l’on s’imagine que c’est peut-être en partie de par la nature des écrits de Plath. Dans un ton tantôt tragique, tantôt ironique, l’autrice utilisait l’écriture comme un outil esthétique, où elle pouvait, en phrasant joliment, exprimer les tréfonds de son être.
« Je trouvais ça facile de s’ouvrir les veines dans une baignoire, d’être allongée, et de voir la rougeur s’échapper de mes poignets, vague après vague dans l’eau claire, jusqu’à ce que je m’endorme sous une surface aussi écarlate qu’un champ de coquelicot ».
Pascual réussit habilement à rendre la dimension tragique des écrits de Plath, qui s’époumone entre rires et désespoirs. L’arrogance dont elle fait usage témoigne de cet affront que représente son acte — celui de prendre parole en tant que femme au sein d’une société dominée alors (et peut-être toujours) par des voix d’hommes. Il est indéniable qu’Arcan et Plath partagent dans leurs œuvres des thèmes qui se font écho : la place des femmes dans la société, le rapport au corps, la détresse.
Prises dans un monde trop violent pour les contenir, elles se seront enlevé la vie à 50 ans d’écart, laissant derrière elles des œuvres qui auront douloureusement marqué leur époque.En mettant en commun l’univers de ces deux femmes de lettres, Claudia Larochelle provoque un dialogue posthume qui dérange de par l’écho qu’il crée et entame en force un festival qui promet une kyrielle d’émotions.
Rendez-vous sur le site du FIL pour la programmation complète du festival.