Selon le récent rapport de la Commission d’enquête sur les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès (CERP), présidée par l’ancien juge de la cour supérieure du Québec Jacques Viens, la Loi sur la Protection de la Jeunesse ne serait pas adaptée à la réalité des peuples autochtones.
Bien que les principes de la Loi aient été acceptés par les chefs des communautés autochtones, leur application engendrerait plus de mal que de bien, selon le rapport. Chez les intervenants, l’incompréhension de la réalité socio-économique et culturelle des autochtones entraînerait la Protection de la Jeunesse à prendre des décisions ethnocentriques qui iraient en réalité à l’encontre des intérêts de l’enfant.
Une autre culture de l’éducation
Selon les auteurs du rapport et les sociologues qu’ils ont cité, il existerait de grandes différences entre le modèle familial occidental et les modèles familiaux autochtones. Ce dernier mettrait davantage de responsabilités sur les épaules des enfants, dont la responsabilité et l’éducation sont partagées par une communauté entière, et non dans une famille nucléaire. Les parents autochtones pratiqueraient aussi l’éthique de non-ingérence, c’est-à-dire qu’ils laisseraient à l’enfant la liberté de se blesser ou de faire des erreurs afin qu’il apprenne par lui-même. Par exemple, ils ne définiraient pas nécessairement d’heure de coucher, considérant que l’enfant apprendrait à apprécier lui-même les bénéfices du sommeil. Ces différences pourraient donc entraîner la croyance chez les intervenants de la Protection de la Jeunesse que les parents sont négligents de l’éducation de leurs enfants. Ils peuvent aussi interpréter l’attachement de l’enfant à plusieurs adultes comme une situation instable. Enfin, ils pourraient concevoir que seule la situation familiale, et non la situation de la communauté en général, a de l’importance pour le développement des jeunes.
Les conséquences de cette incompréhension sont bien réelles, selon le rapport. Elle perpétue la surreprésentation des enfants autochtones dans le réseau de la Protection de la Jeunesse et favorise la séparation de l’enfant et de son milieu culturel. Les actions entreprises pour protéger l’enfant sont donc parfois inefficaces et même nuisibles pour son développement.
Recommandations
Pour remédier à la situation, les commissaires proposent quelques solutions. L’une d’elles consiste à offrir aux communautés autochtones la souveraineté en matière de Protection de la Jeunesse sur leur territoire. Ils affirment que les sociétés autochtones ayant le plus d’autonomie dans ce domaine ont une meilleure situation socio-économique. Il existe déjà une loi québécoise offrant ce droit aux communautés autochtones ; toutefois, elle pose des contraintes qui nuisent à son application. On demande par exemple que la communauté soit en mesure de fournir un budget plus élevé que ce qui serait requis en réalité. Les réticences passées à aller en ce sens étaient causées par une vision paternaliste des sociétés autochtones, qui sont considérées par les autorités comme inférieures dans leur évolution, selon les commissaires.
La CERP avait été fondée en 2015 à la suite des événements de Val d’Or, où une dizaine de femmes autochtones ont affirmé avoir subi des agressions sexuelles de la part de certains membres du corps policier de la ville. Son mandat est de proposer des solutions à la discrimination dont sont victimes les autochtones à travers certains services publics. Le rapport final comporte 142 recommandations, dont une trentaine sur la Protection de la Jeunesse. Le 2 octobre, le premier ministre du Québec a offert les excuses de la nation québécoise aux chefs autochtones, affirmant que « L’État québécois n’en fait pas assez et [que] cette situation est indigne de la société québécoise ». Il a aussi appelé à la collaboration du gouvernement fédéral dans ce dossier. Les trois partis d’opposition ont également fait savoir leur appui à la commission.