Depuis le début de l’année, le nombre de mouvements environnementaux menés par la jeunesse augmente de manière exponentielle au Canada.Notre Moment, (Our Time en anglais, ndlr) est de ceux-là. Avec la justice climatique comme raison d’être, le groupe œuvre pour l’implémentation d’un Green New Deal (une « Nouvelle Donne verte » en français, ndlr) à l’échelle nationale. Chloe et Khady nous ont parlé du fonctionnement du mouvement, de son rôle dans les élections fédérales, et de leurs projets futurs.
Le Délit (LD) : Pouvez-vous commencer par vous présenter rapidement, ainsi qu’expliquer ce qu’est l’organisation Notre Moment ?
Chloé Rourke (CR) : Je suis l’une des organisatrices de Notre Moment, un mouvement qui est en partenariat avec 350.org. Nous sommes le chapitre montréalais, mais il existe d’autres chapitres dans tout le Canada, et notre but premier et de mobiliser les jeunes en soutien d’un Green New Deal, qui est centré autour des enjeux de justice climatique, de droits pour les personnes autochtones et d’une transition juste vers une économie sans carbone, avec des salaires corrects et des emplois verts. Donc, c’est un programme ambitieux auquel nous essayons de rallier spécifiquement les jeunes entre 18 et 35 ans. Le mouvement prend actuellement beaucoup d’ampleur, car ce sont des enjeux que les gens prennent à cœur. Nous savons qu’adresser la question de notre émission carbone et trouver une réponse à la crise climatique représentent des défis énormes, et je pense que le Green New Deal est une réponse à la hauteur de la crise puisqu’il reconnaît le besoin de changements systémiques. Donc voilà, je suis très enthousiaste quant à la direction que prend le mouvement.
Khady Konaté (KK) : Je suis aussi l’une des organisatrices. J’ai rejoint le mouvement lorsqu’il a été créé, c’est-à-dire en mai dernier, ou plutôt fin avril. Au début, je faisais partie de la plateforme d’Ottawa, mais j’ai récemment emménagé à Montréal, où j’ai rejoint Chloé ainsi que d’autres organisateur·rice·s incroyables. Je n’ai pas de position précise, vu que l’organisation a une structure très horizontale. Le processus de décision est très égalitaire, tout le monde a l’espace pour dire ce qu’il·elle pense.
CR : Oui, on n’a pas de structure organisationnelle définie. Je crois qu’aucun des chapitres n’a de poste exécutif d’ailleurs. Il n’y a pas de président·e ou quelque chose comme ça. L’organisation dépend surtout des capacités et des disponibilités de chacun·e·s. Ceux·celles qui ont plus de temps adopteront peut-être une position de leadership, mais aucun rôle n’est fixe. En fonction des aptitudes et du temps que chacun·e peut accorder, certain·e·s se concentreront sur la communication, d’autres sur l’organisation d’événements.
KK : C’est ça, les préférences de chacun·e·s vont déterminer comment on s’organise et qui fait quoi. Les chapitres s’organisent différemment en fonction du nombre d’organisateur·rice·s, de la communauté dans laquelle il·elle·s se trouvent, s’il y a déjà des mouvements populaires existants dans les communautés… Aussi, une partie importante de notre travail est justement de collaborer avec d’autres groupes, puisque la justice climatique est indissociable de la justice sociale, de la justice raciale et de la justice pour les migrant·e·s. Tout est interconnecté, donc c’est très important de travailler en collaboration.
LD : Quelle est l’histoire du Green New Deal ? Pouvez-vous nous parler de ses origines ainsi que de la spécificité d’un Green New Deal canadien ?
CR : Le Green New Deal a été popularisé par Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres membres du Parti démocrate aux États-Unis, mais il a surtout émergé à travers le Sunrise Movement, qui est aussi un mouvement dirigé par des jeunes. Ce sont eux·elles qui ont introduit l’idée sur la scène politique et qui l’ont normalisée dans les discours politiques, même si Alexandria Ocasio-Cortez a aussi beaucoup contribué à ça. Dans le contexte canadien, des discussions au sujet de quelle forme prendrait un Green New Deal national sont en train d’avoir lieu à travers tout le pays. Les syndicats en parlent, les communautés de travailleurs et de travailleuses en parlent également, pour essayer de penser des métiers verts et durables. Aussi, ceci se fait en dialogue avec les communautés autochtones. D’après ce que j’ai pu lire et voir, beaucoup de communautés autochtones sont aux premiers rangs de ces projets. Donc, c’est quelque chose qui est en évolution perpétuelle, qui n’a pas une vision fixe. Et je pense que c’est ça qui est primordial et qui assure le succès du Green New Deal, c’est le fait d’avoir des conversations avec les communautés concernées en premier lieu. Parce que l’idée de transition sera incarnée de manière très différente d’une communauté à une autre. Ça ne devrait pas être un projet descendant, du haut vers le bas. Il faut centrer le dialogue autour de personnes et de communautés qui sont marginalisées par le système politique et économique actuel.
LD : Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
CR : En ce moment, nous concentrons la majorité de nos efforts sur les élections et l’approbation des candidat·e·s. Vu que nous sommes un tierce parti enregistré, nous pouvons approuver des candidat·e·s et aider ceux·celles qui soutiennent le Green New Deal à se faire élire. Donc c’est là que nous concentrons nos efforts actuellement. De plus, nous continuons à faire grandir le mouvement, et de proposer un espace pour les jeunes qui ne sont pas scolarisé·e·s et qui ne sont donc pas inclu·e·s dans les mouvements étudiants environnementaux qui sont particulièrement actifs, ici à Montréal. Nous sommes là pour leur permettre de se joindre au mouvement environnemental plus large, au-delà des universités et des écoles.
Il faut centrer le dialogue autour des communautés qui sont marginalisées par le système économique actuel
LD : Vous n’êtes pas affilié·e·s à un parti politique en particulier. Comment fonctionne votre rapport aux différents partis, et quelle est la relation que vous entretenez avec eux en amont des élections ?
KK : Alors, quand j’étais à Ottawa, nous avions un groupe de travail dont le rôle était de répertorier et de faire des recherches sur tous·tes les candidat·e·s pour que tous·tes les membres de Notre Moment Ottawa puissent savoir quel était le programme, le positionnement, les valeurs et les engagements passés de chaque candidat·e sur les enjeux liés à la justice climatique. De cette manière, nous pouvons décider qui approuver ou non. D’ailleurs, à Ottawa, personne n’avait été approuvé·e avant la semaine passée, parce que nous fonctionnons sur un système de consensus, donc si une personne ne veut pas approuver un·e candidat·e, tout le monde respecte cette décision, et l’approbation ne passe pas.
CR : Pour ce qui est de Montréal, nos critères d’approbation sont similaires, ainsi, ils sont articulés autour de la justice climatique. Nous cherchons à approuver les candidat·e·s qui promulguent et défendent un Green New Deal dans leurs projets de campagne. Le NPD (Nouveau Parti démocratique ndlr) a par exemple intégré le Green New Deal à sa plateforme, et le Parti vert est centré autour d’enjeux climatiques, donc de fait, ce sont les deux partis que nous allons le plus soutenir, bien que nous ne leur sommes pas affiliés.
KK : Aussi, j’ajouterais au sujet de notre statut d’organisation pluripartite que ce n’est pas que nous ne voulons pas approuver des candidat·e·s du Parti conservateur ou du Parti libéral en soi. C’est simplement qu’aucun·e d’eux·elles n’a démontré qu’il·elle soutiendrait un Green New Deal s’il·elle était élu·e.
CR : C’est ça, nous ne voulons pas travailler avec un seul parti, car la crise climatique et environnementale n’est pas un enjeu partisan. Ce que nous voulons, c’est trouver une solution à cette crise. À quoi cette solution va ressembler précisément, comment elle sera mise en œuvre et par qui sont des questions qui restent encore à être définies.
LD : À ce sujet, avez-vous été affecté·e·s, en tant qu’organisation œuvrant pour la justice climatique, par la décision d’Élections Canada de donner aux groupes environnementaux le statut de partisans ?
KK : Il y a eu beaucoup de confusion au moment où cette décision a été prise par Élections Canada. Donc nous sommes déclaré·e·s en tant que tierce parti, mais cela n’affecte pas tellement comment nous nous mobilisons et les actions que nous faisons.
CR : Mais le fait de devoir s’enregistrer en tant que tierce parti est déjà un élément important en soi. Après, ce n’est pas nous qui avons eu à gérer ça directement, c’est 350.org qui s’en est occupé, vu que ce sont eux·elles qui gèrent ces tâches administratives et légales-là. Donc pour nous, ça allait, mais je sais que pour d’autres organisations communautaires qui n’avaient pas le budget légal pour effectuer la démarche, cette décision d’Élections Canada a été un véritable obstacle à leur travail puisque si elles ne se déclaraient pas en tant que tierce parti, elles risquaient d’enfreindre la Loi électorale. Donc si nous n’avions pas eu ces ressources-là, cela aurait vraiment affecté nos capacités à approuver et à soutenir les candidat·e·s.
LD : D’après vos réponses, il apparaît que vous travaillez vraiment sur un double front. D’un côté, vous informez, mobilisez et recrutez les citoyen·ne·s ; de l’autre, vous vous adressez directement aux partis politiques et faites pression sur eux. Comment conciliez-vous, en termes concrets, ces deux aspects de votre mission ?
KK : En fait, tout l’intérêt d’approuver et de soutenir certain·e·s candidat·e·s est qu’ensuite, s’ils·elles sont élu·e·s, ils·elles ont une responsabilité à notre égard, ils·elles se doivent de respecter les engagements qu’ils·elles ont pris durant la campagne. C’est pour ça que Notre Moment va continuer d’exister après les élections, pour pouvoir continuer à faire pression sur les élu·e·s. Nous serons là pour leur rappeler quels engagements ils·elles ont pris, et pour informer le public de ces engagements et de le tenir informé de si ces derniers sont respectés ou non.
CR : Aussi, même si les personnes que nous avons soutenues ne sont pas élues, nous voulons être présent·e·s pour rappeler au gouvernement sa responsabilité vis-à-vis de la population, peu importe le parti qui accède au pouvoir. Ainsi, les deux aspects de notre mission sont étroitement liés. En plus du travail avec les candidat·e·s, à ce stade, nous faisons beaucoup de démarchage pour essayer de faire grandir le mouvement dans son ensemble et ensuite trouver notre place dans le plus large mouvement environnemental québécois. Donc voilà, on fait ça, et puis on essaie de rendre les candidat·e·s que nous avons soutenu·e·s le plus visible possible, et nous encourageons les gens à prendre connaissance de ces candidat·e·s et ensuite de voter avec le climat comme enjeu majeur en tête. Après les élections, nous repenserons notre agenda et déterminerons quelle direction nous voulons prendre.
LD : Lorsque vous allez à la rencontre des citoyen·ne·s ici à Montréal, quelles sont les réactions et les réponses que vous recevez à l’évocation d’un Green New Deal canadien ?
KK : De ma propre expérience de démarchage, j’ai pu constater que les gens sont inquiets pour leur travail et leur revenu, ce qui est totalement compréhensible. Donc quand on parle du Green New Deal, il faut insister sur le fait qu’un pilier central de ce projet est de soutenir les travailleur·euse·s tout au long de la transition. Le mot « transition » en lui-même peut faire peur, mais lorsqu’on prend le temps d’expliquer ce que ce mot veut dire, ce qu’il implique à différentes échelles, les gens sont d’accord. Lorsque nous parlons de transition comme soutien des communautés marginalisées et d’une vraie réconciliation avec les populations autochtones, les gens sont d’accord. Ainsi, le Green New Deal est un projet évolutif et qui s’adapte à la réalité de différents individus et communautés. Les gens ont conscience que notre société a besoin d’un projet transformateur, et peut-être que le Green New Deal est justement le projet en question.
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