Aller au contenu

Herman Hesse et le sublime

Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Le Loup des steppes.

Evangéline Durand-Allizé | Le Délit

« Je l’ai lu quand j’avais ton âge, c’est un roman initiatique. » Voilà le mot qui accompagne le paquet que ma mère me donne le jour de mes 18 ans. Je l’ouvre et découvre le roman Le Loup des steppes de Hermann Hesse. C’est aujourd’hui, après l’avoir lu pour la seconde fois, que je comprends véritablement à quoi il devait m’initier.

L’homme et le loup

Le Loup des steppes raconte l’histoire d’un erratique, Harry Haller, un homme à l’intelligence effarante vivant en contradiction avec son époque. Ainsi, il ne parvient pas à s’accommoder à l’existence, et vit dans le fantasme de la mort. Hermann Hesse nous emmène avec cet homme, qui apprendra à se confronter à l’existence, à l’apprécier et à l’expérimenter, grâce à sa rencontre avec une jeune fille aérienne et intelligente. Une jeune fille qui non seulement lui fera goûter aux plaisirs de la vie, mais lui permettra aussi de comprendre qu’il est responsable de son malheur, dans lequel il s’empêtre volontairement, par paresse ou par fascination. 

Cette dualité, il l’intellectualise par la métaphore du loup, symbole de lui-même qu’il se représente mentalement. Dans son imaginaire, il se métamorphose régulièrement. Ainsi, Harry et son loup des steppes, ou loup errant, incarnent un paradoxe propre à l’humanité : celui de l’être de Nature en opposition à l’être de Culture, et la tension qui en émane. Mais le propos de Hermann Hesse va plus loin : il parle de la multiplicité de l’âme disant que l’Homme s’est toujours projeté comme un être unitaire, alors qu’il n’a de cesse de se découvrir tout au long de sa vie. L’auteur nous rappelle que chaque individu porte en lui l’être qu’il a été à chaque étape de sa vie. Ainsi, son évolution est consubstantielle à sa diversité. Ce roman nous apprend l’importance de l’évolution et de la nécessité à ne pas se suffire de la définition que l’on se fait de nous-mêmes. 

Le rejet de la société

Dans ce récit surprenant de justesse et d’originalité, Hermann Hesse condamne la société dans laquelle il vit, puis se réconcilie avec elle en préconisant, non pas l’accommodement, mais l’affrontement. Harry Haller a certes des croyances — il croit au sublime, à l’Art, à Mozart, et à ceux qu’il appelle les Immortels, génies étant parvenus à atteindre le sublime à travers leurs oeuvres —, mais il est incapable de vivre ailleurs  que dans celles-ci. Il n’arrive pas à expérimenter son temps, et vit dans le fantasme d’une époque révolue. Harry Haller apparaît pour un moment comme un esprit pusillanime, qui refuse d’expérimenter son temps, et qui ne parvient pas à se confronter à lui-même. Ce dégoût envers la société et ce qui la constitue est un enjeu intemporel. À l’ère des réseaux sociaux, du changement climatique, de l’éloignement de l’humain et de la nature, ce roman aborde un sujet qui n’aura jamais été aussi actuel : comment s’enraciner dans notre société quand celle-ci ne correspond pas à nos idéaux ? La modernité et la justesse de ce récit font de lui, à mon sens, un des romans les plus marquants du 20e siècle.

Je compris alors à quoi ma mère voulait m’initier en m’offrant Le Loup des steppes : à poser mon regard sur l’existence.


Articles en lien