Carmelo Monge, membre et porte-parole de l’association Solidarité sans frontières et de Mexicain·e·s Uni·e·s Pour la Régularisation, qui lutte pour les droits des demandeur·euse·s d’asile mexicain·e·s de migrer et de demeurer librement au Canada, nous a accordé un moment pour parler de son rôle au sein de ces organismes, ainsi que pour nous faire part de son expérience en centre de détention de migrant·e·s au Québec, en 2016.
Le Délit (LD) : Pourriez-vous vous présenter ainsi que les raisons qui vous ont poussé à rejoindre l’association Solidarité sans frontières ?
Carmelo Monge (CM) : Je suis un des porte-paroles d’un groupe qui s’appelle Mexicain·e·s Uni·e·s pour la Régularisation, membre de Solidarité sans frontières (SSF) et je participe aussi directement dans un de leurs comités, le comité anti-répression.
Je connaissais déjà certaines personnes de Solidarité sans frontières d’avant, qui commençaient les [luttes] contre la construction de la nouvelle prison. On a fait un premier rassemblement entre nous, qui connaissions déjà cette situation. [Je les ai rejoints par la suite.] J’y participe maintenant parfois comme porte-parole, ou je présente des ateliers ou des conférences. Je transmets mon message à travers mon témoignage, parce que j’ai été en détention au cours de l’année 2016, pendant une semaine.
LD : Quelles ont été les causes de votre mise en détention ?
CM : Moi, je suis arrivé ici en 2008. J’ai fait les demandes [pour résider ici] , mais au début de l’année 2013, tout a été rejeté. Mais quand même, j’avais un permis de travail pour Uber jusqu’en 2015. Donc, je pouvais continuer à travailler, mais je suis devenu sans-papier. Pendant l’année 2015, avec Solidarité sans frontières, on a fait une demande d’ordre humanitaire. Je travaillais dans un entrepôt, j’avais été obligé de quitter mon ancien travail car mon permis de travail avait expiré. Un jour, l’immigration m’a envoyé une lettre me demandant de me rendre à leurs bureaux pour le renouveler. Donc, j’y suis allé, seul, mais ce qui est arrivé, c’est qu’une représentante m’a dit que j’allais devoir être détenu car il y avait une lettre de déportation à mon nom depuis plusieurs années. J’ai dit ne pas avoir reçu cette lettre, puisque j’avais changé d’appartement entre-temps, mais il n’y avait rien à faire. Tout de suite, tous les agents de sécurité sont arrivés, m’ont menotté et m’ont envoyé directement au centre de détention.
Il y avait un recours légal possible, qui s’appelle l’ERAR ( Examen des risques avant envoi, ndlr) ; on m’a demandé si je voulais faire une application. Je l’ai fait, et avec ce recours, j’ai pu aller devant une audience qui prendrait une décision. Solidarité sans frontières et plusieurs autres groupes et organismes ont commencé à se mobiliser pour me chercher un avocat et un représentant. Finalement, je suis paru devant l’audience avec mon représentant et mon avocat. Ça s’est bien passé, mais on a demandé 20 000$ pour ma libération conditionnelle. Ça a été difficile. Mais bon, finalement, j’ai été libéré conditionnellement, et une semaine après, l’immigration m’a envoyé une lettre me disant que ma demande humanitaire avait été acceptée. J’ai aussi obtenu une réponse positive pour ma résidence permanente par la suite.
Tout ça, quand on l’entend comme ça, on pourrait penser que ce n’est pas très compliqué. Mais psychologiquement, mentalement, on souffre. Quand on est à l’intérieur, et qu’on est menotté, c’est la dépression. On ne sait jamais ce qu’il va advenir de nous.
LD : Au sein même du centre de détention, les ressources et les groupes qui pouvaient vous apporter de l’aide étaient-ils accessibles ? Semblait-il possible de s’organiser avec eux ?
CM : Il y avait toujours des visites d’organismes, de la part de gens francophones, anglophones, hispanophones. Il y avait beaucoup de ressources, et surtout beaucoup de personnes autour de moi. Le problème, c’est que je voyais bien qu’à l’intérieur, il y avait beaucoup de personnes qui n’avaient pas de connaissances ou d’informations, ni d’amis qui pouvaient les aider. La situation est compliquée pour les personnes qui viennent d’arriver mais qui sont directement remises au centre de détention. Il y en a beaucoup qui sont en déportation tout de suite. Il y en a d’autres qui, au contraire, restent en détention pendant deux, trois ans, parce qu’ils n’ont pas vraiment de représentants légaux, ou de famille. Tous ces cas, personne ne les connaît, à l’extérieur.
Et parlons des enfants ; moi, depuis que j’ai été en prison, j’ai été, d’une certaine façon, capable de me libérer mentalement et émotionnellement [de ce que j’y ai vécu]. J’essaye de faire mes recherches, de voir ce qu’il se passe. En tant qu’adulte, on essaye de laisser certains de nos problèmes à l’intérieur des centres. Mais je me demande comment les enfants arrivent à se libérer de cette situation. Tout ce qu’on vit à l’intérieur du centre, les enfants, ils l’absorbent. Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de psychologues ou de sociologues qui font de réelles recherches sur les impacts que tout cela peut avoir ? Parce que même si les enfants sont libérés, que se passera-t-il pour eux après ?
Mon message, c’est ça ; si on dit qu’on veut vraiment une société plus inclusive, plus cohésive, il faut penser à toutes ces choses-là, aux enfants, à ce qui va les affecter quand ils vont grandir.
LD : Pour en revenir au projet de construction du centre à Laval, comment résumer simplement les raisons des protestations d’organismes comme SSF ?
CM : Je vais expliquer grosso modo, car il y a plein d’autres détails. Moi, je me pose des questions sur la société en général. En ce moment, il n’y a pas d’augmentation du salaire minimum, il est presque le même depuis près de 10 ans. Il y a aussi des problèmes quant aux logements sociaux. Il y a de réels besoins sociaux. Pourquoi est-ce que la société, au lieu de faire face à ces problèmes, de faire tout un travail social, construit ce genre de prisons ? C’est juste reporter toute la situation. C’est quelque chose auquel il faut penser, au sein de la société.
Moi, je pense, personnellement, que c’est une situation de violence. Et la violence est silencieuse, car c’est l’État, l’État canadien, qui est en cause. Évidemment, il y a beaucoup plus de problèmes que ça. Dans nos pays d’origine, il y a aussi de gros problèmes. Les compagnies canadiennes s’y installent, ne respectent pas l’environnement ou les conditions des communautés, déplacent la population.
C’est complexe. Je ne sais pas si c’est quelque chose que l’on peut vraiment comprendre. Mais comment construire une société plus humaine, plus solidaire, plus collaborative, comment ? Comment, si l’État continue de diriger la violence vers les immigrants ?
Moi, je suis une personne qui pense que la solution n’est possible qu’en allant chercher toute la société. Il faut créer des dialogues entre les politiciens et tous les autres. Tout le monde ! Les médias, les étudiants, il faut que l’on s’engage ensemble. Il n’y a pas directement de réponse, il faut qu’on se regroupe, qu’on s’organise. C’est tout un processus. Toute commence par la confrontation : les racistes, les antiracistes… Il faut chercher comment coexister avec respect, avec collaboration. Cela prend un réel travail.
Collecte de fonds : $10 000 pour l’entraide
Au début du mois, SSF a lancé un appel à l’aide sur Internet afin de récolter des fonds pour offrir un soutien financier à leurs membres « directement affecté·e·s par les conséquences lourdes d’un système d’immigration injuste ». Le communiqué, diffusé sur Facebook, mentionnait que « malgré le fait qu’ils et elles contribuent à notre société via, par exemple, l’engagement communautaire, le travail, et les impôts, ils ne bénéficient d’aucun accès aux services sociaux. Ils·elles n’ont pas d’assurance maladie ; ils·elles ne peuvent pas accéder aux garderies publiques» ; ils·elles ne sont pas éligibles pour des subventions d’aide au loyer ni au logement social, et sont exclu·e·s de certains programmes sociaux tels que l’assurance-chômage, l’aide sociale et les allocations familiales. Sans permis de travail, l’accès à un travail décent ou stable est limité. Ceci fait en sorte que les voies légales vers la régularisation demeurent souvent inabordables ». L’objectif de collecte est de 10 000$, de quoi subvenir aux besoins de bases de certain·e·s membres ne pouvant plus travailler, soit pour des raisons de santé ou de documentation, à ceux d’un père monoparental, sans moyens de payer une chirurgie pour son fils malade, et à d’autres membres pris dans le processus de demande d’asile.
Les détails de cette collecte de fonds sont disponibles sur Facebook, dans l’événement Collecte de fonds : $10 000 pour l’entraide.