Le Délit a rencontré Tomas Jirousek, membre de la nation Kainai, territoire du traité 7, et de la confédération Blackfoot et commissaire aux Affaires autochtones de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM).
Le Délit (LD) : Pourriez-vous nous parler un peu de votre poste en tant que commissaire aux Affaires autochtones ?
Tomas Jirousek (TJ) : Mon rôle est, en gros, de représenter les intérêts de la population étudiante autochtone à l’AÉUM et à McGill en général. L’année dernière, j’ai mené une campagne pour changer le nom des équipes sportives masculines, les McGill R*dmen, au nom des revendications de la communauté étudiante autochtone. En ce moment, je fais plutôt des campagnes, j’anime des ateliers et je m’oppose à l’Université lorsque c’est nécessaire.
LD : Comme vous l’avez mentionné, l’année dernière, vous avez mené avec succès la campagne Changez le nom. Où en est le processus du changement de nom ?
TJ : L’administration a lancé un appel à des nominations pour des membres du comité pour le changement du nom des équipes. Malheureusement, ils·elles n’ont pas réservé de sièges pour des étudiant·e·s autochtones spécifiquement ni pour qui que ce soit en dehors de la communauté athlétique. J’espère que des athlètes autochtones vont pouvoir y siéger ; je crois que, malgré le fait que l’administration nous a rendu la tâche un peu plus difficile, ce sera toujours possible. Je l’espère.
LD : Depuis la décision de l’administration de finalement changer le nom des équipes, avez-vous remarqué d’autres changements sur le campus ?
TJ : Oui ! En fait, j’ai remarqué une évolution plus générale au sein de la communauté montréalaise. Les étudiant·e·s du collège Ahuntsic [dont les équipes sportives] sont connues en ce moment comme les Indiens, sont en train de militer pour changer leur nom d’équipe. Je suis heureux de voir d’autres universités et cégeps suivre des parcours similaires. Je crois qu’il y a aussi eu une responsabilisation des étudiant·e·s autochtones sur le campus : nous comprenons que si nous nous mobilisons, nous avons des allié·e·s, alors nous pouvons nous opposer à [McGill] en ce qui a trait à la protection des droits autochtones.
LD : Y avait-il un moment durant la campagne où vous avez su qu’elle réussirait, ou alors étiez-vous incertain du résultat jusqu’à la toute fin ?
TJ : À l’origine, j’avais planifié que la campagne durerait deux ans — je prévoyais rester deux ans au poste de commissaire aux Affaires autochtones, en m’attendant à ce que la première année aille plus lentement. L’année dernière était censée être consacrée à une campagne éducative pour cette année. J’ai été surpris par la rapidité avec laquelle les médias extérieurs se sont intéressés à cette histoire. Au moment de la manifestation l’année dernière, lorsque la lettre ouverte a commencé à amasser beaucoup de signataires, j’ai réalisé qu’il s’agissait de quelque chose de gros. C’était un enjeu qui suscitait beaucoup d’intérêt chez les étudiant·e·s allochtones, et c’est à ce moment que j’ai commencé à penser que nous avions réellement une chance de réussir à faire changer le nom.
C’était un enjeu qui suscitait beaucoup d’intérêt chez les étudiant·e·s allochtones, et c’est à ce moment que j’ai commencé à penser que nous avions réellement une chance de réussir à faire changer le nom
LD : Croyez-vous que le succès de cette campagne démontre une transition plus générale de l’administration de l’Université McGill vers des points de vue plus progressistes ?
TJ : Malheureusement, je crois que non. Je crois que l’administration est inutilement pugnace envers les leaders étudiant·e·s, non seulement autochtones, mais également en provenance d’autres groupes marginalisés. Je pense notamment à la quantité d’efforts qu’il a fallu faire pour qu’elle mette en place des mesures en ce qui a trait à la violence sexuelle et aux relations entre professeur·e·s et étudiant·e·s. L’Université a toujours été récalcitrante en ce qui concerne les droits étudiants en général, et de façon plus spécifique ceux des étudiant·e·s autochtones et des autres communautés marginalisées. Mais je crois que la campagne a démontré qu’en tant qu’étudiant·e·s, nous nous améliorions sur le plan de la mobilisation. Nous comprenons mieux comment l’administration réagit aux demandes étudiantes. Personnellement, j’ai réalisé que les médias extérieurs ont un grand impact : McGill ne [voulait] pas que tout le pays sache qu’elle a un passé assez horrible en relation aux étudiant·e·s autochtones, et [la campagne] a bien illustré ce passé. Je crois que, quand la réputation de McGill est menacée par les médias, l’administration agit.
LD : La semaine dernière, vous avez, avec plusieurs autres leaders autochtones, soumis une lettre à la v.-p. aux Affaires internes de l’AÉUM, Sanchi Bhalla, appelant à sa démission. Pourriez-vous résumer la situation ?
TJ : J’avais planifié de faire samedi dernier (le 19 octobre, ndlr) une manifestation s’opposant au traitement des enfants autochtones par les services de protection de l’enfance et à la décision du gouvernement fédéral de porter en appel le verdict du Tribunal canadien des droits de la personne concernant les enfants autochtones. Le Tribunal a décrété que chaque enfant [victime des services de protection de l’enfance] avait droit à 40 000$ de dédommagements [de la part du gouvernement fédéral]. Ce sont des enfants qui ont été séparés de leurs familles, enlevés de leurs réserves et forcés de grandir au sein de familles blanches.
J’étais quelque peu nerveux par rapport à la réception de soutien de la part des membres exécutifs de l’AÉUM cette année. Le nouvel exécutif n’a pas été aussi prêt à me soutenir que celui de l’année dernière — la campagne pour changer le nom des équipes aurait été beaucoup plus difficile si je n’avais pas eu le soutien de l’exécutif. J’ai soumis une motion au conseil législatif [le 10 octobre dernier], demandant à l’AÉUM de soutenir [la manifestation], ce qui comprenait l’accès au listserv. J’ai indiqué qu’un communiqué serait disponible le soir suivant. Le lendemain, j’ai personnellement rappelé à la v.-p. aux Affaires internes [que je préparais le communiqué]. Elle avait donc amplement le temps de se préparer et avait été mandatée de diffuser ce communiqué. En terminant sa rédaction, j’ai reçu un message indiquant qu’il y aurait de la difficulté à le diffuser. J’ai donc envoyé un message soutenant que c’était essentiel que la v.-p. aux Affaires internes diffuse le communiqué, et elle a échoué à le faire.
Mon raisonnement en réclamant sa démission découle du fait que les étudiant·e·s autochtones devraient être capables de se mobiliser rapidement [si un service essentiel à la communauté est en danger]. Nous aurions besoin de diffuser un communiqué immédiatement et d’organiser une manifestation en quelques jours. Cet incident a démontré que les étudiant·e·s autochtones ne peuvent pas compter sur l’AÉUM. Je crois que nous devons avant tout tenir responsables les membres de l’exécutif qui ont échoué à leur tâche, ce que nous avons fait en réclamant la démission de la vice-présidente Bhalla.
Je crois aussi qu’il est nécessaire de travailler sur une réforme institutionnelle de l’AÉUM. Je vais tenter de retirer le portfolio des Affaires autochtones de la responsabilité de l’un des membres de l’exécutif et mettre en place une politique de solidarité autochtone, afin de fournir de l’autonomie aux étudiant·e·s autochtones, pour que nous n’ayons pas à compter sur l’AÉUM. Les étudiant·e·s autochtones ne devraient pas avoir à compter sur la solidarité de l’exécutif : il faut pouvoir se mobiliser à n’importe quel moment, lorsque nous voulons nous exprimer en notre nom.
LD : À ce jour (le 25 octobre, ndlr), la v.-p. aux Affaires internes n’a pas démissionné. Quelles seront les prochaines étapes entreprises par les signataires de la lettre ?
TJ : Malheureusement, les autres membres de l’exécutif n’ont pas soutenu les étudiant·e·s autochtones comme ils·elles avaient indiqué en privé qu’ils·elles le feraient. Je crois qu’en tant que commissaire aux Affaires autochtones, je dois me concentrer à la représentation de la population étudiante autochtone, ce qui pour moi signifie une distanciation de la réclamation de responsabilisation personnelle. Je soutiens toujours que la démission doit avoir lieu, mais je me concentre sur l’acquisition d’une autonomie fiscale et le retrait du portfolio des Affaires autochtones du contrôle de l’exécutif. Nous [voulons] changer les dynamiques du pouvoir au sein de l’AÉUM pour nous assurer qu’une telle situation ne se reproduira plus.
LD : Que diriez-vous aux étudiant·e·s qui souhaitent être de meilleur·e·s allié·e·s à la communauté autochtone du campus, mais qui ne sont peut-être pas certain·e·s par où commencer ?
TJ : Soyez prêt·e·s à répondre lorsque nous demandons des allié·e·s. Si vous pouvez vous rendre à une manifestation que nous organisons, c’est fantastique. Si vous pouvez voter pour le Indigenous Equity Fund, c’est excellent. Vous pouvez retrouver le comité des Affaires autochtones sur Facebook : portez attention aux médias sociaux, gardez vos oreilles ouvertes pour nos appels à nos allié·e·s. Si vous voulez vous impliquer encore plus, joignez-vous au comité des Affaires autochtones ou communiquez avec la Indigenous Students’ Alliance.