Alors que l’on quitte doucement l’hiver pour les beaux jours, que les vestes légères remplacent les longs manteaux, que les arbres se parent de nouveaux bourgeons, le corps et le cœur crient de nouveau aux flâneries solitaires.
Marcher, tourner, hésiter. Revenir en arrière pour finalement s’engouffrer dans une rue déserte, se laisser guider par le bon vouloir de ses jambes avant de trouver une terrasse ensoleillée. Prendre place. Prendre place là où le soleil de fin de journée viendra caresser notre peau, ce soleil encore trop doux pour nous faire plisser des yeux, mais assez puissant pour rougir le monde l’espace d’un instant.
Commander un café. Un café allongé, histoire de faire durer le plaisir, même si l’on sait pertinemment que le fond de tasse se boira froid et que son goût âpre nous collera à la gorge jusqu’au souper. Puis, se délecter du ballet humain prenant place sous nos yeux. Tenter d’en saisir la logique, en vain. Là, devant nous, virevolte un micro-échantillon révélateur de la large palette humaine : les amants imprudents jalousent les amoureux complices, les joggeurs éreintés peinent à éviter les démarches hésitantes des petits vieux, les femmes enceintes s’inquiètent des mères de famille exaspérées par leur progéniture turbulente, les hommes d’affaires faussement occupés fantasment sur la naïveté des lycéens…
Tous. Tous se côtoient sans pour autant se rencontrer. Tous apportent cette atmosphère si légère au début de printemps. Tous sont si lointains, si inconnus, si mystérieux, si insaisissables et à la fois si prévisibles. Parfois, un geste, une intonation, un regard suffisent à trahir leur façade pourtant si énigmatique, et l’on devine alors un bout de quotidien de chacun d’entre eux. Des cernes visibles : signe d’une nuit trop courte remplie de débats enflammés ? Ou d’ébats flamboyants ? Débattable… Un visage creusé par une rupture imminente ? Un sourire pétillant transpirant un amour nouveau ? Ou, au contraire, une moue manifestant une routine agaçante ?
Enfin, alors que la trajectoire quotidienne du soleil s’achève, que les terrasses se libèrent, que la brise du soir réveille notre corps, nous extirpant ainsi de cet état d’observation passive, on se lève, les jambes encore engourdies et ce n’est que partie remise pour un autre de ces ballets incongrus.