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Les morts et les vivantes

Atlantique était présenté dans le cadre du Festival Cinemania.

Évangéline Durand-Allizé

Premier long métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, Atlantique a fait un passage à Montréal avant sa diffusion sur Netflix le 29 novembre prochain. Le film ouvre sur la scène d’ouvriers décidant de quitter Dakar par l’océan, forcés par une détresse économique des suites de 3 mois de travail non rémunérés. Souleiman, un des ouvriers, quitte Ada sans lui dire au revoir, précipitant la fin de leur histoire amoureuse.

Qui porte la détresse ? 

L’histoire que Mati Diop raconte est celle d’une jeunesse sénégalaise qui fuyait la pauvreté et le chômage dans les années 2000, tentant de rejoindre l’Espagne en pirogue. En parlant de ceux qui partent, elle filme surtout celles qui restent, ces amies qui sont laissées sans nouvelles. Les fantômes des échoués occuperont le corps de ces femmes pour obtenir réparation. La détresse sociale et économique — car elle est infectieuse — les contamine ; si la mort reste impunie, la misère et la douleur demeurent. Bien que son propos politique s’articule surtout autour de la violence de classe, le récit de Mati Diop ne se cantonne pas qu’au genre du drame social. Le film est ponctué de moments de vie et de beauté, ainsi que d’intrigues satellites qui enrichissent la narration, ou qui par moments l’alourdissent. Si le film commence mal pour les personnages — presque tous étant en position de victimes —la réalisatrice leur confère une puissance qui est assez réjouissante. Le message politique et les injustices que Diop pointe sont clairs et exigeants, et, parce que celle-ci s’engage à rendre justice, elle se montre constamment empathique vis-à-vis de ses personnages, en particulier Ada. 

Le réel est un fantôme

La force du film réside aussi dans son traitement de la question des traditions : l’on y voit l’ambivalence entre l’oppression que ces traditions représentent pour certaines femmes dans le film, mais aussi la force onirique que les djinns — ces créatures et esprits qui influencent le vivant — portent dans le récit. Le politique se mêle au fantastique, le réel au surréel, l’amour à la brutalité ; Atlantique est une œuvre puissante qui nous trouble dans notre interprétation et ce sont ces multiples dimensions qui l’étoffent.

Ce résultat, presque extraterrestre, est aussi dû à la beauté des images et à une musique flottante qui envoûtent le·la spectateur·rice, le·la tenant en haleine même dans ses moments les plus contemplatifs. Diop parvient à créer cette intimité avec celles et ceux qui regardent, servant majestueusement son propos. Voir Atlantique peut ainsi permettre de déplacer son regard sur l’émigration socioéconomique. Le film, proposant une histoire alternative, mais tout aussi nécessaire, représente ce qui se passe dans le lieu de départ, ce qui s’y perd, ce qui s’y vit. La réalisatrice et co-scénariste réfute l’oubli de la violence noyée et donne le plein pouvoir à ses fantômes, permettant enfin d’écouter les morts plutôt que ceux et celles qui nous parlent pour eux.


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