En janvier 2019, l’Université McGill annonçait la création du Pôle bien-être étudiant Rossy (Rossy Student Wellness Hub, en anglais, ndlr). Le Pôle, financé à huit millions de dollars de la part de McGill et à cinq millions par la Fondation Rossy, vise à regrouper les différents services aux étudiant·e·s (santé physique, santé mentale, counseling, etc.) à un même endroit, l’objectif étant d’améliorer l’accès à ces services pour la population étudiante. L’ouverture, initialement annoncée pour mai 2019, puis novembre 2019, a encore une fois été repoussée le 12 novembre dernier.
Brassage de services
Avant 2017, les services de soins étaient organisés sous le terme générique de Santé mentale, comprenant à la fois les services de counseling et de psychiatrie. Toutefois, la fusion des services avait été critiquée à l’époque par les étudiant·e·s, et une pétition demandant notamment l’embauche d’un plus grand nombre de professionnel·le·s de la santé avait même récolté plus de 1 000 signatures. Ainsi, en septembre 2017, le bureau des Services aux étudiants avait expliqué dans une table ronde que l’administration avait entendu les critiques des étudiant·e·s mcgillois·e·s qui avaient de la difficulté à accéder aux différents services de counseling et de santé mentale, en plus d’éprouver de longs délais pour obtenir une première consultation.
Plusieurs changements dans l’organisation des services ont alors été effectués. Ainsi, les Services de counseling sont devenus un service autonome logé au 4e étage du bâtiment Brown. Cette unité répondait aux étudiant·e·s ayant besoin de consulter un·e travailleur·euse social·e, un·e diététiste ou encore un·e infirmier·ère. D’autre part, les services de psychiatrie avaient été séparés et regroupés comme une sous-unité au sein des Services de counseling. Comme l’expliquait Ebby Crowe, ancienne commissaire à la Santé mentale de l’AÉUM, au Délit en 2018, le but de ces changements était de pouvoir réintégrer tous les services au sein d’un même « pôle » où les dossiers des étudiants seraient centralisés. À l’époque, l’échéancier prévoyait l’ouverture du pôle en août 2018. Cet échéancier n’a pas été respecté. Par ailleurs, c’est également en septembre 2017 que McGill a mis fin au Eating Disorder Program qui aidait les étudiant·e·s aux prises avec des troubles alimentaires.
Le Pôle de bien-être est maintenant composé des Services de counseling, des services psychiatriques et des services de santé des étudiant·e·s. Le Pôle est situé au troisième étage du pavillon Brown, sur la rue McTavish. L’approche du Pôle se veut « holistique » en regroupant tous les services au même endroit. De plus, l’objectif est de permettre aux professionnel·le·s de la santé d’avoir accès aux dossiers des étudiant·e·s afin d’éviter les doublons et les informations cloisonnées au sein d’une seule branche de service.
Le Pôle critiqué
Plusieurs étudiant·e·s et groupes étudiants ont critiqué la façon dont l’établissement du Pôle bien-être a été géré par McGill. Dans un entretien avec Le Délit, Madeline Wilson, v.-p. aux Affaires universitaires de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais, ndlr), a expliqué au Délit que le Pôle n’avait pas réellement changé l’accès aux soins sur le campus.
« Avant, [les étudiant·e·s] devaient prendre rendez-vous avec une unité spécifique selon leurs besoins. […] Maintenant, peu importe le besoin, les étudiant·e·s doivent se rendre au Pôle, mais ça génère tout de même de la confusion puisque McGill n’a pas bien communiqué la marche à suivre pour obtenir un rendez-vous. Parfois, les étudiant·e·s doivent passer par des conseillers du Pôle, qui nous redirigent vers une autre personne, ou d’autres fois, lorsque les étudiant·e·s se font dire qu’aucun rendez-vous n’est disponible, ils ne savent plus où se diriger pour obtenir de l’aide. », dit-elle.
Wilson a organisé une manifestation au moment du lancement officiel prévu du Pôle (le 12 novembre dernier). Coorganisée avec l’AÉÉDEM (Association des étudiant·e·s diplômé·e·s employé·e·s de McGill), la manifestation a permis d’exprimer plusieurs demandes de la part des groupes étudiants.
L’une des demandes principales est de fournir des services adéquats pour les étudiant·e·s concerné·e·s et de fournir toutes les informations nécessaires à leur usage. « On demande des soins de longue durée en santé mentale, et non pas des soins épisodiques comme fait le Pôle en ce moment. […] On demande également à ce que le Eating Disorder Program soit remis en service. […] De plus, les personnes utilisant les services coupés [par exemple, le Eating Disorder Program, ndlr] n’ont pas été informées de leur arrêt. Nous demandons à ce que la communication soit plus ouverte », explique Wilson.
« Madeline Wilson a expliqué au Délit que le Pôle n’avait pas réellement changé l’accès aux soins sur le campus. »
Le manque de diversité au sein des professionnel·le·s de la santé est également la cible de critiques de la part des groupes étudiants. « Il y a très peu de personnes racisées ou des personnes venant de la communauté LGBTQ+. Par exemple, sur l’équipe PRIDE, qui est censée être une équipe composée de personne issues des communautés LGBTQ+, il n’y a pas de personne transgenre. Il n’y a également pas de counsellors spécifiquement pour les étudiant·e·s racisé·e·s. Beaucoup de questions des formulaires sont transphobes, et forcent les étudiant·e·s à mettre des titres honorifiques genrés comme Madame ou Monsieur, sans alternative », renchérit Wilson.
D’autres enjeux sont également mentionnés par la v.-p., comme les délais d’attente jugés déraisonnables (jusqu’à 13 semaines pour voir un psychiatre), la facilitation du processus d’obtention des billets médicaux et l’accès aux soins pour les étudiant·e·s en situation de handicap.
Peu de progrès
D’autres voix se lèvent contre la façon dont l’administration organise l’accès aux soins à McGill. Parmi ces voix se trouve celle de Rine Vieth, candidat·e de 5e année au doctorat en anthropologie à McGill et responsable de la mobilisation à l’AÉÉDEM, est également très critique sur la façon dont McGill offre ses soins. « Je crois que l’accessibilité et la qualité des soins a été sévèrement détériorée [depuis l’établissement du Pôle bien-être]. Je me questionne beaucoup par rapport à l’utilisation des fonds ; les Services aux étudiants n’ont pas été très transparents par rapport à leurs budgets. […] Aussi, il est impossible d’obtenir un rendez-vous au Pôle, rien que le système de téléphonie va raccrocher rapidement une fois terminée, sans qu’il soit possible de retourner l’appel d’aucune façon. Les administrateurs ont également instauré une rotation des secrétaires au sein du bâtiment, ce qui fait que les secrétaires qui avaient l’expérience et les compétences spécifiques reliées au travail auprès d’étudiant·e·s ne sont maintenant plus nécessairement au Pôle. »
Vieth se désole aussi de la façon dont les rendez-vous d’urgence sont gérés. « Lorsque j’ai appelé pour obtenir un rendez-vous avec mon médecin, je me suis fait dire que les rendez-vous d’urgence n’existent plus, alors qu’ils sont censés exister. C’est pourquoi je communique avec mon médecin par courriel maintenant. » Iel croit que ces réalités démontrent que les systèmes de communications entourant le Pôle bien-être sont un « échec ». Ses autres critiques abondent également dans le même sens que celles mentionnées par Madeline Wilson et les revendications des manifestant·e·s.
Vieth a coorganisé la manifestation devant le Pôle du 12 novembre dernier. Une autre manifestation est prévue pour le lancement reporté du Pôle.