À trois reprises, en 2013, 2016 et 2019, l’Université McGill déclarait qu’elle ne désinvestirait pas ses fonds des énergies fossiles. Depuis 7 ans, McGill choisit de continuer de financer la crise climatique malgré une croissance des efforts de contestation de son portfolio. Ironiquement, cette année l’Université tentait de présenter la décision du Conseil des gouverneurs comme un pas supplémentaire dans son engagement pour le climat. Dans un communiqué publié le 5 décembre, McGill annonçait qu’elle s’en tiendrait à son engagement de neutralité carbone pour 2040, et de réduction au fil des années de ses investissements dans les secteurs polluants pour se concentrer sur de l’investissement d’impact. Seulement, McGill n’a toujours pas désinvesti et c’est encore 8.7% des 1.7 milliard de dollars d’investissement qui iront dans les poches du secteur énergétique.
La semaine dernière, le professeur associé Gregory Mikkelson annonçait publiquement sa démission (voir « Une “affaire de conscience”» page 7). Proche du mouvement Divest McGill, il s’est engagé ces dernières années pour la réduction de l’impact environnemental de notre université. Sa profession lui donnait cette position particulière au sein du groupe activiste : une base solide de connaissance, car celui-ci enseignait à l’École d’environnement, mais aussi une certaine légitimité devant l’administration de par sa profession et sa position de sénateur. Dans une entrevue avec la CBC, Mikkelson avançait que la décision de McGill était loin d’être satisfaisante et que celle-ci le mettait face à ses propres convictions : travailler pour cette université, ce serait tolérer cette situation.
Il y avait dans la campagne de Divest en 2019 un peu d’espoir. On s’est presque dit : ça fait trop longtemps que ça dure. C’est trop d’inondations, de canicules, de forêts qui brûlent. Ce trop serait devenu du « bon sens », plus grand monde n’en débat. L’urgence prend sa place dans les médias, les climatosceptiques se font plus silencieux, l’idée qu’il faut agir est là. Ce trop, on pouvait croire que même McGill le reconnaîtrait, s’étant plusieurs fois dite pionnière sur le plan du développement durable. Mais, vraisemblablement, ce trop ne transgresse pas les frontières décisionnelles les plus symboliques. McGill, comme toujours, se veut leader en recherche scientifique mais pas en son application. Depuis les bureaux du bâtiment de l’administration quand il faut se décider à désinvestir, soit ce n’est pas trop, soit ce n’est pas vraiment leur problème.
Pourtant, beaucoup d’autres universités, comme l’Université de la Colombie-Britannique ou l’Université Concordia le font, et c’est efficace. Mikkelson appuie que le désinvestissement reste le signal le plus fort qu’une institution puisse envoyer à son gouvernement, et que ce geste de la part de McGill aurait une résonance particulière. Investir dans un secteur, comme McGill investit dans les hydrocarbures, c’est encourager et pousser son expansion. Choisir de ne plus investir est le type de geste politique fort que le gouvernement canadien doit entendre. Le poids du problème éthique qu’est celui du désinvestissement reposait sur l’Université, mais après la décision de décembre, elle s’est retrouvée à nouveau sur les épaules de la communauté mcgilloise. C’est ce que la démission de Mikkelson nous raconte. C’est ce que le malaise grandissant d’une grande partie des étudiant·e·s nous dit aussi. On sait, en occupant l’espace mcgillois, en permettant sa vie et son fonctionnement, que l’on cautionne quelque part ses travers.
Quels sont nos leviers ? Si la décision de Mikkelson est symboliquement la plus forte, et sûrement la plus juste, se retirer de McGill n’est pas possible pour un grand nombre de membres de sa communauté. Rester alors, mais peut-être se désolidariser ? Continuer à dénoncer, à faire vivre des initiatives comme Divest, à militer, à dire que nous n’investirons pas dans McGill après l’obtention du diplôme, qu’on ne sera pas #ForgéParMcGill, dire la peur, le trop. Pour que l’urgence ne reste plus aux portes du bâtiment de l’administration, mais qu’elle grimpe ses murs — pour que l’Université reconnaisse que la crise climatique n’est pas un combat à mener sur vingt ans, mais bien maintenant.