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Éduquer pour délivrer

Retour sur la conférence par Zabi Enâyat-Zâda à la première de Les Hirondelles de Kaboul.

Maison 4:

Les questions de l’immigration et de l’intégration n’avaient, jusqu’à présent, jamais fait couler autant d’encre. Alors que l’accent est mis sur les notions de multiculturalisme et d’intégration culturelle, il devient malheureusement trop facile de se perdre dans l’océan d’informations (et de désinformations) qui nous parvient. C’est à travers des conférencier·ère·s tel·le·s que Zabi Enâyat-Zâda, auteur du livre autobiographique Afghan et musulman, le Québec m’a conquis (éditions Trois-Pistoles, 2015) que nous pouvons commencer à cerner une réalité qui peut nous sembler surréaliste, voir impossible. Né à Kaboul, en Afghanistan, Zabi Enâyat-Zâda a quitté son pays natal pour le Canada pendant la guerre entre les Russes et les Moudjahidines, durant les années 1980. Il avait dix-sept ans lors de son arrivée au Québec. Son récit est celui d’une lente intégration qui éclaire le·la lecteur·rice sur ce que vivent les immigrant·te·s ; leur déracinement, leur isolement, leur vertige devant l’existence qu’il·elle·s ont quittée et celle qui s’offre à eux·elles.

Une réalité portée à l’écran

Ce récit, nous pouvions l’entendre suite au visionnement du film Les Hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mevellec et présenté le 17 janvier 2020 au cinéma Beaubien. M. Enâyat-Zâda a pris la parole à suite du visionnement du film, devant une salle pleine où plusieurs générations de spectateur·rice·s étaient au rendez-vous. Le film nous plonge dans la ville de Kaboul sous le régime des Talibans. Par le truchement de différents personnages, comme Atiq, un ancien combattant moudjahidine présent lors de l’occupation soviétique et maintenant gardien de prison pour femmes, ainsi que Zunaira, qui s’oppose au régime qui lui est imposé en manifestant pacifiquement (et en secret) en peignant des fresques sur les murs de sa demeure en attendant d’aller vivre à l’étranger avec son mari.

Alors que le film aborde les différents enjeux socioculturels de la société afghane actuelle, il pourrait manquer à certain·e·s spectateur·rice·s les référents nécessaires qui permettraient de pleinement saisir les différentes nuances que Les Hirondelles de Kaboul tente de présenter. La présentation de Zabi Enâyat-Zâda permet de confronter les mœurs occidentales à la réalité du Moyen-Orient. Le choc culturel se voit notamment dans le traitement qui est réservé aux femmes, certes très bien documenté, mais tout aussi frappant lorsque nous le voyons sous une forme dramatisée et, dans le cas du film Les Hirondelles de Kaboul, imagée. Les jeunes filles ne vont pas à l’école, n’ont pas le droit de travailler, de faire du vélo, de sortir de la cour ni d’utiliser la piscine familiale même lorsqu’il fait 40 degrés. Il arrive encore qu’elles servent de monnaie d’échange en cas de conflit ou de dette.

Éduquer pour délivrer

Le constat de Zabi Enâyat-Zâda est donc le même que celui du film réalisé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec : les quatre décennies de guerre ont ravagé l’Afghanistan et son peuple au point où l’espoir de voir, un jour, un semblant de paix, est presque impossible. Bien que la mort et la destruction poussent les citoyen·ne·s de Kaboul à s’exiler dans les pays avoisinants, Zabi Enâyat-Zâda et Les Hirondelles de Kaboul insistent que la délivrance est possible grâce à l’éducation de la population. Dans le film, Zunaira et son mari Mohsen souhaitent enseigner à l’école coranique afin de participer aux réseaux clandestins d’enseignant·e·s où ils peuvent donner des cours sur l’histoire de l’art, la littérature et l’histoire. Au Québec, Zabi Enâyat-Zâda poursuit ses tournées de conférences où il transmet son témoignage dans lequel il exprime le fait qu’il se « libère du fonctionnement de victime qui [le] gardait coincé entre [ses] deux mondes, celui du bon musulman afghan et celui du Québécois bien inséré dans la société » et qu’il est « possible de s’intégrer sans avoir à tout renier ».


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