Cloud, Intelligence Artificielle, data mining, big data… Ce jargon technique occupe une place croissante dans les médias, au point qu’il en devient familier. Mais de quoi est-il le nom ? Il s’agit là d’éléments constitutifs de ce que la Ligue des droits et libertés (LDL) — organisme indépendant engagé depuis 1963 pour la défense des droits individuels — désigne comme « une nouvelle phase du capitalisme ». Conséquence du développement des géants du numérique (les GAFAM pour Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), ce « capitalisme de surveillance » représenterait une menace pour le bon fonctionnement du processus démocratique et pour l’exercice du libre arbitre individuel.
La disparition du collectif
C’est autour de ces problématiques que la LDL a convié Maxime Ouellet, professeur à l’École des médias de l’UQAM,et Joëlle Gélinas, doctorante en communication à l’UQÀM, pour une soirée publique de débat et d’échange le jeudi 16 janvier dernier. Tous deux membres du Groupe de recherche sur l’information et la surveillance au quotidien (GRISQ), ils partagent le constat que les GAFAM ont profondément bouleversé le fait social. La collecte et le traitement massif des données personnelles — le « big data », c’est-à-dire les « données massives », « l’or noir du vingt-et-unième siècle » — a non seulement provoqué la dissolution de la vie privée dans une forme de surveillance de chaque instant, mais a aussi mené à l’apparition d’une « gouvernance algorithmique », pour Maxime Ouellet. Les mécanismes de suggestions de ces plateformes, soucieuses de retenir l’utilisateur, ont tendance à l’enfermer dans des « bulles » qui n’exposent pour ainsi dire pas aux intérêts divergents ni aux opinions contradictoires. Les conséquences sont critiques : le collectif disparaît et le fait politique recule, occultés par l’individualisation des expériences technologiques. Développant l’idée que les GAFAM ne produisent rien pour la collectivité et jouissent d’une rente sur l’exploitation des données personnelles, les intervenants dénoncent l’émergence d’une « démocratie sans citoyens » et d’une « économie sans emplois ».
Le rôle des pouvoirs publics
Peut-on imaginer des alternatives aux GAFAM afin que l’économie du numérique devienne plus respectueuse des libertés individuelles et de la collectivité ? Quelle fonction doit jouer la sphère politique dans cette perspective ? C’est essentiellement autour de ces interrogations que les discussions ont porté en fin de conférence. Pour Antoine, dans l’assistance, « il semble illusoire de compter sur le développement de services alternatifs libres et décentralisés tant que le statut de monopole naturel des GAFAM disqualifie toute initiative concurrente ». Seulement, la nationalisation de ces firmes ne paraît pas pour autant être une meilleure idée : « Cela reviendrait à confier des infrastructures de surveillance et de collecte massive de données à l’appareil d’État américain, dont les intentions et les activités en ce sens sont connues depuis l’affaire Snowden », assène Martine, une retraitée. Finalement, l’assemblée convient que la solution ne pourra venir ni de la concurrence, ni de la nationalisation, mais bien de la régulation par les pouvoirs publics. « Encore faut-il une volonté politique de ce côté-là et c’est pour convaincre nos décideurs que les travaux de notre organisation ont du sens, alors on continue ! » conclut Marie-Ève, coordonnatrice de la LDL.